Les attaques de l’administration Trump contre la recherche et les milieux scientifiques aux États-Unis allient coupes budgétaires brutales et chasse aux sorcières réactionnaire. Le tout visant à réduire l’audience et la crédibilité de la voix des chercheurs qui pourraient contester, sur le terrain des faits et des idées, la politique du président américain et de sa bande de milliardaires. Assécher les budgets et interdire les recherches gênantes, l’attaque est réelle. Mais le repoussoir américain est fort commode, et l’on aurait tort de penser que nous sommes immunisés contre ce double poison, de ce côté-ci de l’Atlantique.
Des trumperies réacs bien de chez nous
Depuis plusieurs années, des recherches en sciences sociales sont régulièrement attaquées en France sous le motif qu’elles seraient perverties par « l’idéologie woke » ou « l’islamo-gauchisme ». Bigre… Rappelons tout de même que le député Patrick Hetzel, éphémère sous-ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR) du gouvernement Barnier, avait proposé la création d’une commission parlementaire pour enquêter sur ces prétendues « dérives »… Certes, il n’y a pas (encore ?) de liste de mots interdits ni d’équipes de recherche démantelées du jour au lendemain. Mais le trumpisme ne déplaît pas à tout le monde de ce côté-ci de l’Atlantique.
Austérité made in France
Côté budget, les mesures prévues par Trump équivalent à une baisse de 2 à 3 milliards de dollars sur un budget fédéral de 150 milliards (soit 1,3 à 2 % de baisse) – ce qui laisse intacte la très grande puissance financière des universités privées qui s’appuient sur des fondations et des mécènes privés. En France, le budget voté en début d’année a coupé les fonds dédiés à l’ESR de 1,5 milliards d’euros (929 millions sans tenir compte de l’inflation), soit 5,6 %. La purge est donc trois à quatre fois plus forte que celle décidée par Trump. Et ce n’est pas tout, car il faudrait y ajouter, en France, 1,6 milliard d’euros d’annulations de crédits sur le budget 2024 et le financement de certains grands équipements et programmes. Cette pénurie financière organisée n’est pas sans rappeler ce qui se passe dans l’ensemble du service public. Et elle ne date pas d’hier : le budget moyen par étudiant est en chute libre depuis la fin des années 2000 et les postes d’enseignants et de personnel administratif et technique manquent partout.
Make Europe Great Again… pour le patronat et l’industrie de l’armement !
Conséquence cette année : les deux tiers des universités sont en déficit budgétaire. Une situation jamais vue qui aura des conséquences très concrètes sur les conditions de travail dans les universités et sur les conditions d’étude : fermeture de formations, réduction des budgets des labos de recherche (à Paris 1, par exemple, les dotations aux labos ont baissé de 50 % début 2025 !), non renouvellement des postes précaires qui permettent pourtant aux facultés et aux labos de tourner, etc.
D’un autre côté, la pompe à fric est en pleine forme. Le Crédit impôt recherche, en France, a permis au patronat d’empocher 7,6 milliards de subventions en 2024. À Bruxelles, des discussions sont en cours pour la prochaine feuille de route de la politique scientifique, avec une réorientation très probable d’une grande partie des fonds vers le complexe militaro-industriel et des recherches orientées selon quelques thèmes choisis pour soutenir l’investissement privé. Macron a commencé la liste : intelligence artificielle, énergie, biotechnologies, quantique et espace.
Le bal des hypocrites
Trump attaque ses chercheurs ? Une aubaine pour les dirigeants européens de l’enseignement supérieur et de la recherche pour redorer un blason terne et craquelé. Macron a demandé à l’European Research Council, qui finance des recherches sur projet, de prendre 20 millions d’euros sur son budget pour attirer des chercheurs hors de l’Union européenne. Une goutte d’eau pour financer des contrats précaires dotés de rémunérations bien inférieures à celles qui ont cours aux États-Unis. En France, le programme Pause, qui permet d’accueillir des chercheurs menacés politiquement dans leur pays, a vu son budget réduit de 60 %. C’est la solidarité internationale qui est en effet mise en « pause »… malgré les velléités de quelques universités, comme Aix-Marseille, qui est en pointe… avec un programme d’accueil de quinze chercheurs pour une durée de trois ans.
Une politique combattue sur le terrain
Cette politique de la recherche contribue à une réorganisation de l’ensemble du système universitaire. En asséchant les financements, il s’agit de forcer les universitaires et les étudiants à accepter des mesures jusqu’alors inacceptables : dérégulation des droits d’inscription permettant leur forte augmentation dès la licence, liquidation des statuts des enseignants et des chercheurs fonctionnaires. La tendance est claire : des licences généralistes surpeuplées et sous-dotées pour le tout-venant des étudiants d’un côté ; et de l’autre, un petit nombre de formations bien financées débouchant sur des formations supérieures en master ou en doctorat pour des étudiants triés sur le volet.
Ces évolutions n’ont pas attendu la montée des extrêmes-droites : ce sont des gouvernements de droite et de gauche qui les portent depuis plusieurs décennies. Elles pourraient toutefois s’accélérer dans les mois et les années à venir… à moins qu’un mouvement d’ampleur y mette un coup d’arrêt. Cet hiver, des étudiants, enseignants et employés des universités se sont opposés aux coupes budgétaires et à leurs conséquences. Aux États-Unis aussi, des mouvements commencent à se structurer. Minoritaires mais déterminés, ils montrent la voie à suivre… et donnent un avant-goût d’une autre forme de solidarité internationale sur le terrain des luttes !
Sacha Crepini