Romans
Les Petits de décembre
Kaouther Adimi (Points)
En 2016 à Alger, l’arrivée de généraux sur un terrain vague où les gosses du quartier jouent au foot dérègle la vie des habitants. Un court roman sur la résistance, la corruption et la bêtise qui permet de revenir sur des aspects de l’histoire de l’Algérie contemporaine.
La bombe
Frank Harris (Le Livre de Poche)
Écrit en 1908 et traduit récemment en français, un roman sur l’exploitation des travailleurs immigrés à la fin du XIXe siècle aux États-Unis, avec le développement de groupes socialistes et anarchistes et l’attentat de Haymarket à Chicago le 4 mai 1886, en réponse à la violence et la répression policière.
Beyrouth 2020 : Journal d’un effondrement
Charif Majdalani (Poche, 2022)
Chronique d’une catastrophe, celle du Liban qui sombre dans la crise, dont l’explosion terrible dans le port de Beyrouth le 4 août 2020 est symptomatique, vue par un écrivain petit-bourgeois lucide et critique.
Papa courait les paris
Louise Meriwether (10-18)
La vie d’une famille dans le Harlem de 1934, ravagé par la crise économique de 1929. Misère, violences, racisme mais aussi amour, colère et vitalité de la communauté noires sont au cœur de ce court roman.
Faire bientôt éclater la terre
Karl Marlantès (Le Livre de Poche)
Ce pavé de 850 pages nous emmène au début du XXe siècle de Finlande aux États-Unis. Ilmari, Matti et leur sœur Aino fuient la misère et l’oppression russe qui règnent dans leur pays, la Finlande, et émigrent près de la Columbia River, entre les États de l’Oregon et de Washington, dans une colonie de bûcherons. Ils y découvrent une vie très dure, d’exploitation féroce, mais aussi la solidarité et les luttes. Aino, devenue marxiste en Finlande, va tenter d’organiser les travailleurs de la colonie, rejoignant les IWW (syndicat révolutionnaire, s’opposant au syndicalisme corporatiste d’alors). La quête d’une vie meilleure les anime, chacun à sa façon, au milieu de la violence du jeune capitalisme américain.
Les frères Lehman
Stéfano Massini (10-18)
Cette épopée familiale, de 1844 à nos jours, sur les frères Lehman, fondateurs d’une grande banque américaine, dont la faillite en 2008 entraina une crise financière mondiale, a reçu à la fois un prix littéraire pour un essai et un prix pour une fiction… La forme – le roman est écrit en vers libres – comme le fond, une plongée au cœur du capitalisme, sont passionnants.
Un détail mineur
Adania Shibli (Actes Sud, 2020)
Le roman d’Adania Shibli s’appuie sur une histoire vraie, révélée en 2003 par le quotidien israélien Haaretz, celle du viol collectif puis l’assassinat par des soldats israéliens d’une jeune bédouine en 1949. Deux points de vue se succèdent, celui d’un officier qui a participé à l’exaction puis celui d’une jeune Palestinienne. Un détail mineur symbole de la barbarie coloniale et du silence qui l’entoure.
Les morts d’avril
Alan Parks (Rivages noir, poche 2024)
Quatrième opus, toujours dur mais passionnant, de la série Harry McCoy, inspecteur à Glasgow en 1973, occasion de découvrir la réalité sociale d’une ville marquée par la désindustrialisation, des inégalités très fortes et des trafics.
Le soleil rouge de l’Assam
Abir Mukherjee (Folio policier, 2024)
Suite de la série policière sur l’Inde coloniale après la Première Guerre mondiale, dans le contexte du réveil du nationalisme indien, Sam Wyndham lutte contre son addiction à l’opium mais est rattrapé par une enquête de son passé. Toujours une description fine et ironique de la colonisation anglaise.
Sang d’encre à Marrakech
Melvina Mestre (Policier Points, 2024)
Après Crépuscule à Casablanca, nous retrouvons la détective Gabrielle Kalan, en 1952, dans le Maroc sous protectorat français, pour une enquête qui la conduit à Marrakech, sur fond de rivalité entre dignitaires marocains pro et anti présence française, de police corrompue et de prostitution organisée par les autorités françaises.
Sur l’épaule des géants
Laurine Roux (Folio, 2024)
Son précédent livre, L’autre moitié du monde, relatait la révolte de paysans du delta de l’Èbre dans l’Espagne des années 1930. Cette fois, nous suivons sur plus de 150 ans les péripéties d’une famille d’origine cévenole, à travers notamment deux guerres mondiales. Un bijou historico-politico… littéraire.
Les portes
Gauz (Le Seuil, 2024)
Son premier roman, Debout-payé (2015), aussi satirique que réjouissant, transcrivait le regard d’entomologiste d’un étudiant ivoirien sans papiers devenu vigile sur la clientèle parisienne d’une boutique de mode. Cette fois, il s’agit de l’occupation de l’église Saint-Bernard par les sans-papiers auto-organisés, en 1996. Éloquent récit dans un style virtuose.
Le silence
Dennis Lehane (1974, réédition en poche 2024)
La politique de « déségrégation » prévoit le « busing » des élèves d’un quartier noir vers un quartier blanc et réciproquement. Problème, les écoles publiques du quartier irlandais sont aussi pourries que celles du quartier noir. Les quartiers riches ne sont pas concernés… Vague de racisme. Un jeune Noir meurt sous un quai de métro. Et la fille d’une Irlandaise combative disparaît. Un polar politique aux dialogues époustouflants. Haletant.
Miss Atomic
Laure Coromines (Gallimard, 2023)
Saint George, Utah, 1957 : l’été s’annonce chaud et spectaculaire. Dans le désert voisin du Nevada, des essais nucléaires de plus en plus puissants rythment les semaines. Ils portent des noms poétiques ou fascinants. Un concours de Miss est organisé. Des vérités beaucoup plus effrayantes affleurent. Un très beau premier roman de la journaliste Laure Coromines qui s’est particulièrement documentée sur le sujet.
Missak
Didier Daeninckx (Folio, 2009)
La panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian concluait la sordide opération de récupération d’un réseau de résistants de travailleurs étrangers par le gouvernement Macron qui, dans le même temps, s’attaquait aux travailleurs immigrés et remettait en cause le droit du sol à Mayotte. Au-delà de l’enquête, l’intérêt de ce roman est de (re)découvrir l’engagement de travailleurs étrangers contre la barbarie nazie. Leur révolte face à l’antisémitisme d’État a été dirigée dans une impasse par les staliniens qui brandissaient le drapeau tricolore plutôt que le drapeau rouge. Aujourd’hui, on aurait bien raison de se reconnaître dans le parcours du véritable Missak plutôt que dans la légende cocardière qui l’entoure.
Briseurs de grève
Valerio Evangelisti (Libertalia, 2020)
Écrit en 2011, traduit presque dix ans plus tard, il s’agit du troisième opus de la trilogie américaine du romancier italien Valerio Evangelisti (après Anthracite et Nous ne sommes rien soyons tout). Il y dresse l’histoire du mouvement ouvrier américain des années 1880-1920, mais surtout de sa répression particulièrement sanglante. Le récit se poursuit jusqu’à la fondation et la montée du syndicat IWW (Industrial Workers of the World). Valerio Evangelisti nous a quittés en 2022 en laissant derrière lui un travail romanesque documenté et profondément engagé. Briseurs de grève est un roman idéal pour se plonger dans l’histoire du mouvement ouvrier et syndical américain.
Sur le génocide des Tutsis au Rwanda
L’Iguifou
Scholastique Mukasonga, (Folio, 2015)
Scholastique Mukasonga a vu les 37 membres de sa famille massacrés lors du génocide des Tutsis en 1994. Dans ce recueil de nouvelles, l’autrice nous fait partager ses souvenirs d’avant le génocide. Car bien avant le génocide, les Tutsis ont été victimes de massacres et de persécutions, avec la complicité des ex-colonisateurs belges et français. Déjà, la faim, « l’Iguifou », tenaille les Tutsis, parqués dans des camps de réfugiés dans la région de Nyamata. Déjà, « La Peur », titre de la troisième nouvelle du recueil, les tenaille : on apprend à courir au moindre bruit suspect… Déjà, c’est le « Malheur d’être belle » alors qu’on est tutsi. Un beau recueil, d’une écriture poétique.
Petit pays
Gaël Faye (Le Livre de Poche, 2017)
Dans ce livre, adapté depuis en film, Gaël Faye, fils d’un expatrié français et d’une mère tutsi, raconte son enfance déchirée par la guerre et le génocide. Une enfance en apparence heureuse, où les enfants font les quatre cents coups, mais où déjà apparaissent le racisme des colons et la division artificielle de la société coloniale entre Hutus et Tutsis. Jusqu’au jour où la violence s’invite dans la vie quotidienne. Qui ira crescendo, jusqu’à l’innommable… Un roman coup de poing.
Sur l’URSS et le stalinisme
Le Conte de la lune non éteinte
Boris Pilniak (Interférences, 2008)
L’histoire de la mort suspecte d’un commandant de l’armée Rouge (certainement Frounzé) suite à une opération d’un ulcère imposée par les autorités. Dans ce récit, publié en 1926, Boris Pilniak est un des premiers à décrire la dégénérescence de la première révolution prolétarienne de l’histoire, sa bureaucratisation et la montée en puissance de la machine stalinienne. Un récit qui vaut aussi pour son style, d’une grande modernité, avec une grande puissance visuelle qui n’est pas sans rappeler le cinéma soviétique de la même époque.
Une saga moscovite
Vassili Axionov (Gallimard, 1995, réédition en poche, 2000)
Vassili Axionov naît en 1932 à Kazan. Ses parents sont déportés en 1937 pour « trotskisme », lui-même arrêté par le NKVD comme « fils d’ennemi du peuple ». Une Saga moscovite s’ouvre en 1924. Très rapidement, l’ébullition révolutionnaire encore présente est peu à peu écrasée par la bureaucratisation, suivie des grandes purges staliniennes. Si le roman s’attelle à la terrible dégénérescence du pouvoir soviétique, Axionov sait toujours garder une certaine légèreté et une certaine fantaisie dans son écriture. À lire absolument.
Sur Juin 36 et le Front populaire
Juin 36
Jacques Danos et Marcel Gibelin (Les Bons Caractères)
Le titre de ce livre, paru d’abord en 1952, était déjà en soi une remise en cause de la doxa stalinienne et social-démocrate sur le Front populaire. Non seulement les deux historiens démontrent que c’est la grève générale, et pas du tout le gouvernement d’union de la gauche, qui a permis les conquêtes ouvrières de juin 1936, mais ils montrent de façon implacable comment les appareils réformistes ont, dès le départ, œuvré à étrangler ce mouvement de grève et à sauver le capitalisme français. Un ouvrage fondamental.
Front populaire, révolution manquée
Daniel Guérin (Agone)
Daniel Guérin fut un militant syndicaliste révolutionnaire, figure de l’extrême gauche en France entre les années 1930 et 1970. Dans les années 1930, il milite à la Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert, un courant de gauche de la SFIO. Dans cet ouvrage, Daniel Guérin relate tous les débats qui ont agité la gauche révolutionnaire à l’époque du Front populaire. Loin de l’image d’Épinal des « jours heureux », il montre des militants et militantes qui, cherchant à en finir avec le capitalisme, se retrouvent confrontés à la réalité des appareils réformistes voulant exercer le pouvoir dans le cadre des institutions.
La France du Front Populaire
Jacques Kergoat (La Découverte)
Paru d’abord en 1986, ce livre constitue une bonne synthèse sur ce qu’a été le Front populaire. En un peu plus de 300 pages l’évolution de ce gouvernement et de cette assemblée, du vote des 40 heures au vote des pleins pouvoirs à Pétain, est bien retracée.
L’embellie (Les Rebelles, tome 3)
Jean-Pierre Chabrol
« Le matin, chez Biglette, le bistrot du coin, trois polisseurs et un mécano parlaient de ces fameuses grèves sur le tas. […] Nous, chez Bodant, on est trop cloche, a tranché un polisseur. […] Quand ils sont rentrés, à l’heure, […] ils ont attendu, pour mettre [leurs machines] en route. Attendu quoi ? Le ronflement des Bliss. Mais les femmes des presses attendaient aussi. Chaque atelier attendait que l’autre démarre, chaque ouvrier attendait que son voisin mette sa bécane en route. L’usine restait silencieuse […]. Impossible d’être le premier à casser cette grande et redoutable quiétude.
Les contremaîtres ne demandèrent pas d’explication. Ils dirent le mot : « C’est la grève. »
Entre Cévennes et Paris, une lecture indispensable sur Juin 36.
Science
Néandertal, mon frère : 300 000 ans d’histoire de l’homme
Silvana Condemi et François Savatier (Champs sciences, 2019)
Quelques têtes de chapitre : Néandertal, fils de l’Europe et du froid ; L’émergence de la lignée néandertalienne ; Une vie culturelle complexe ; L’arrivée du perturbateur… ; Et si Néandertal dormait en nous ? La formidable enquête d’une paléoanthropologue racontée de façon claire et vivante par un journaliste scientifique. Des préjugés tombent et bien des questions demeurent, précisent les auteurs.
La plus belle histoire de l’intelligence
Stanislas Dehaene, Yann Le Cun et Jacques Girardon (Points, 2020)
Jacques Girardon (journaliste et écrivain), interviewe successivement et ensemble, deux spécialistes du sujet. Stanislas Dehaene, mathématicien et neurologue spécialiste du cerveau et Yann Le Cun, l’inventeur de l’apprentissage profond (deep learning) des neurones virtuels. Des dialogues très éclairants. Stanilas Dehaene raconte l’histoire de l’intelligence, depuis ses balbutiements aux origines de la vie, jusqu’aux neurones de la lecture et du langage articulé propre à Homo sapiens. Yann Le Cun revient sur l’histoire à éclipses de l’intelligence artificielle, pour finir en autant de pistes et de questions sur l’avenir rêvé ou pas de l’IA. Plus que passionnant.