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Donald Trump doit-il sa victoire à Elon Musk et à la polarisation des réseaux sociaux ?

Elon Musk fait un « X » dans un meeting de Trump en Pennsylvanie, le 5 octobre 2024

La campagne présidentielle majoritaire a fait rage dans les médias et sur les réseaux sociaux qui se polarisent de plus en plus entre démocrates et l’extrême-droite républicaine où Trump a pu profiter du soutien de réseaux sociaux « alternatifs » complotistes et d’X (ex-Twitter), la plateforme phare d’Elon Musk qui l’a rachetée pour 44 milliards de dollars en octobre 2022.

« Jeu, set et match »

C’est ainsi qu’Elon Musk (la première fortune mondiale, avec 250 milliards de dollars) célébrait auprès de ses followers la victoire électorale de Donald Trump le 6 novembre dernier. Pendant toute la campagne, le PDG d’X, après avoir mis sa plateforme au service du candidat républicain, multipliant les attaques contre les démocrates et « médias mainstream » (« Legacy Media ») supposément à leur service.

Le milliardaire n’a pas chômé. Avec plus de 100 tweets par jour et ses 200 millions d’abonnés, impossible pour les utilisateurs du réseau social d’échapper au déluge de fakenews, immondices et déclarations d’amour à Trump répandues par le milliardaire… Depuis qu’Elon Musk a repris en main Twitter au nom de la « liberté d’expression », la plateforme s’est radicalement transformée avec le rétablissement de milliers de comptes complotistes et le renforcement d’un algorithme imposant du contenu d’extrême droite aux utilisateurs1.

Mais Musk ne fait pas seulement le pitre sur les réseaux sociaux, il met directement la main à la poche avec plus 75 millions de dollars de dons à un Comité d’action politique2 (America PAC) destiné au financement de la campagne de Trump. Grâce à ces fonds, les Républicains ont multiplié les encarts publicitaires mensongers sur les autres réseaux sociaux (Instagram, Facebook, etc.) : ici Kamala Harris étant présentée comme soutien des Palestiniens, et là-bas du côté d’Israël.

« S’il perd je suis foutu »

Elon Musk a mis beaucoup d’œufs dans le panier Trump auprès de qui il espère obtenir de meilleurs contrats pour ses entreprises, quand bien même l’administration Biden lui a permis de s’engraisser (sa fortune a été multipliée par dix, grâce à des partenariats avec la Nasa, la Défense et autres agences fédérales). Son pari semble pour l’instant réussi : la victoire de Trump a entraîné une augmentation de 14,75 % de ses actions Tesla le jour même des résultats3.

Mais Musk ne représente que la partie immergée de l’iceberg. La campagne électorale a souligné le passage d’une série de grands patrons de la Silicon Valley du camp démocrate au camp républicain, notamment grâce à l’intermédiaire du nouveau vice-président, J.D. Vance, originaire du monde de la « Tech »4. En soutenant Trump, ces milliardaires s’opposent à la mise en place de toute potentielle taxe ou régulation imposée à leur secteur et dont Biden s’était fait timidement le porte-parole, après des années de « laisser-faire » sous sa présidence et celle d’Obama.

Dans le monde des réseaux sociaux, le combat n’est pas sur X

Toute la Silicon Valley ne soutient pas Trump. Les démocrates ont bénéficié du soutien de plusieurs milliardaires du secteur5, comme Bill Gates (Microsoft), Sam Altman (OpenIA), Reed Hastings (Netflix), Vinod Khosla (cofondateur de SUN Microsystems à l’origine du langage Java, devenu investisseur), etc. Kamala Harris n’a pas manqué de mener campagne sur les réseaux sociaux, à une échelle plus importante encore que dans les médias traditionnels. Ainsi, les démocrates ont parfois investi jusqu’à 20 fois plus que les républicains sur Instagram et Facebook (Meta), et deux fois plus sur Google. Autant dire que la campagne ne s’est pas menée sur X, qui fait pâle figure avec ses 619 millions d’utilisateurs actifs contre les trois et deux milliards présents sur Facebook et Instagram6.

Pour l’instant, on ne peut pas dire que le rachat de Twitter rapporte financièrement à Elon Musk (sa valeur boursière n’est plus que le quart de ce qu’elle était il y a deux ans). X se maintient surtout grâce une « petite » base (50 millions) d’utilisateurs ultra-actifs7, auxquels son propriétaire cherche sans doute à s’adresser en priorité.

En effet, la polarisation politique aux États-Unis se répercute dans l’utilisation des médias « traditionnels » (télévision, radios, journaux) mais aussi sur les réseaux sociaux. Ceux-ci sont de plus en plus utilisés pour s’informer sur la situation politique : 58 % des Américains disent qu’ils préfèrent s’informer sur leurs ordinateurs, tablettes ou smartphones, contre 32 % pour la télévision (6 % pour la radio et 4 % pour la presse écrite)8. Un peu plus de la majorité des adultes déclarent ainsi prendre connaissance de l’actualité grâce aux réseaux sociaux, principalement sur Facebook, Youtube et Instagram. X est d’ailleurs moins utilisé nationalement : 15 % des Américains disaient prendre régulièrement des informations sur cette plateforme en 2020, contre 12 % aujourd’hui (Facebook eset passé de 36 à 33 %, alors que TikTok a explosé : de 3 à 17 % !)9.

« Vous êtes les médias ! »

Républicains et démocrates ne regardent pas les mêmes programmes et n’utilisent pas les réseaux sociaux de la même manière. En effet, les capitalistes du secteur favorisent tel ou tel type de contenu en fonction de leurs utilisateurs afin de générer davantage d’engagement et donc de profits grâce aux encarts publicitaires et à la revente des données personnelles. Ainsi, à mesure que Fox News se tourne vers l’extrême droite, MSNBC met en avant des idées « progressistes » et pro-démocrates. Parallèlement, les républicains utilisent plutôt Truth Social (le réseau de Trump) et Rumble, tandis que les démocrates sont plutôt sur Instagram, WhatsApp, TikTok et Reddit. Quant à Youtube, Facebook et X, ils sont aussi bien utilisés par les uns que par les autres.

En parallèle des réseaux sociaux « mainstream » (grand public), de nouvelles plateformes « alternatives » se forment, dédiées presque exclusivement à la mise en avant d’une seule tendance politique, principalement d’extrême droite ou complotiste. Moins d’un Américain sur dix utilise régulièrement ces plateformes (à divers degrés) qui alimentent le sentiment d’avoir trouvé « sa communauté », où « la liberté d’expression est protégée » face aux « médias dominants »10.

L’opinion publique a toujours été l’opinion des capitalistes

Les réseaux sociaux n’ont pas permis à Trump de gagner les élections, tout comme les magnats de la presse ou des médias n’ont jamais réussi à imposer leur vision du monde à l’ensemble de la population. Ce ne sont pas les litres d’encre ou les kilomètres de tweets qui déterminent le niveau de conscience des masses travailleuses, d’autant plus que les masses populaires savent trouver les moyens d’utiliser les rouages des média (y compris patronaux) pour s’organiser et défendre leurs intérêts, comme en témoignent les dernières mobilisations d’ampleur dans le monde, comme au Bangladesh, en Chine ou pendant les Printemps arabes ! Mais avec X et la cohorte de plateformes complotistes, une partie des capitalistes surexcite une base sociale électorale forte de plusieurs millions d’individus qui pourrait peut-être un jour quitter son écran pour s’attaquer aux « ennemis de l’intérieur », les féministes, migrants ou syndicalistes.

Ici et là, certains États capitalistes interviennent pour « réguler » et censurer les contenus d’extrême droite les plus flagrants. Au Brésil, le gouvernement Lula s’est attaqué à X et à Elon Musk en fermant les locaux de l’entreprise avant d’interdire l’accès à la plateforme sur son territoire. En France, Touche pas à mon poste, l’émission de « divertissement » pro-extrême droite de Bolloré, sera arrêtée sous pression de l’Arcom, après plus de 7,6 millions d’euros de sanctions. Mais ces sanctions et aménagements à la marge – décidées par des États qui pratiquent davantage la censure et la répression contre les mouvements de l’autre bord du spectre politique, comme en témoigne le traitement du soutien à la Palestine – ne changent rien à la toute-puissance du patronat sur la production et la diffusion de l’information. En France, six groupes possèdent la quasi-totalité des médias, qui ne sont donc pas moins concentrés qu’aux États-Unis).

Pour mettre fin au contrôle de l’information et au « formatage » de l’opinion publique, ce n’est pas seulement à l’immonde Elon Musk, ou ici à Bolloré, qu’il faut s’attaquer, n’en déplaise aux démocrates et à leurs semblables, mais bien à la propriété privée des moyens de production et à l’État capitaliste qui la protège.

Stephan Ino

 

 

1  À la suite du rachat par Musk de Twitter, la mise en avant de contenu « toxique » (violences, polémiques, thèses complotistes ou d’extrême droite) est passé de 32 à 48,7 %. Les chercheurs ayant réalisé cette enquête se sont fait couper l’accès à leur recherche en février 2023 mais nul doute que le phénomène s’est accentué. Évidemment, X n’est pas le seul réseau social à jouer avec l’algorithme pour influencer le comportement de ses utilisateurs, y compris sur le terrain politique. Après les élections de 2016, Facebook a aussi changé son algorithme pour que ses utilisateurs « voient » davantage de contenus publiés par ses proches plutôt que par le reste des médias. Et dans tous les cas, l’accès à l’algorithme reste la chasse-gardée des propriétaires capitalistes, sous le sceau du secret industriel et commercial.

2  En 2024, plus de 15 milliards de dollars ont été dépensés lors de la dernière séquence électorale (Congrès et Présidence), dont 1,7 milliard pour Harris et 1 milliard pour Trump.

3  Une revanche contre Biden, qui avait refusé d’inviter le patron de Tesla lors d’un salon sur l’avenir de la voiture électrique en 2023.

4  On citera notamment Marc Andreessen (investisseur), Joe Lonsdale (investisseur), les jumeaux Winklevoss (Bitcoin), Rupert Murdoch (Wall Street Journal et Fox News), Peter Thiel et David Sacks (Paypal)…

5  Même si, victoire de Trump approchant, certains milliardaires ont adopté une attitude plus « neutre » comme Jeff Bezos (Amazon) qui a rompu avec la tradition du Washington Post de prendre position à une semaine du scrutin présidentiel alors que celui-ci comptait prendre position pour Harris. Une fois Trump élu, de nombreux patrons de la Silicon Valley ont finalement félicité ce dernier, comme Sundar Pichai (Google), Mark Zuckerberg (Meta), Pat Gelsinger (Intel), Satya Nadella (Microsoft), Tim Cook (Apple)… et Jeff Bezos, tout en mettant en avant la nécessité de défendre « l’innovation » de ce secteur de pointe de l’industrie américaine face aux concurrents étrangers.

6  https://fr.statista.com/statistiques/570930/reseaux-sociaux-mondiaux-classes-par-nombre-d-utilisateurs

7  De plus, X subit la concurrence de plateformes émergentes lui ressemblant, comme Threads (Meta) ou Bluesky, même si celles-ci ne l’égalent pas encore en nombre d’utilisateurs.

8  https://www.pewresearch.org/journalism/fact-sheet/news-platform-fact-sheet/

9  https://www.pewresearch.org/journalism/fact-sheet/social-media-and-news-fact-sheet/?tabItem=61d3b974-9b3e-4bdf-a247-064a3080c418

10  Ainsi, ces derniers jours, le complotiste Alex Jones excite ses centaines de milliers d’auditeurs réguliers sur InfoWars à réagir à un « coup d’État des démocrates » perpétré par « l’État profond » qui préparerait l’assassinat de Trump avant son accession au pouvoir en janvier prochain.