Nos vies valent plus que leurs profits

Du cheval vapeur au cheval électrique, Renault veut faire payer la conversion aux travailleurs

Lundi 29 janvier, Renault a annoncé l’annulation de l’introduction en bourse d’Ampere, sa filiale exclusivement dédiée aux activités électriques. C’était pourtant l’objectif officiel du démantèlement du groupe Renault et de son explosion en cinq entités séparées, chacune devenant responsable de sa propre stratégie et de la réalisation des objectifs de rentabilité.
Après la création de l’entité « Horse » et sa sortie du groupe en juillet 2023, entérinant la délocalisation hors de France de toutes les activités thermiques, hybrides et hybrides rechargeables de Renault, Luca de Meo – PDG du groupe – a créé Ampere en novembre dernier avec l’ambition d’en faire le leader européen sur le marché des véhicules électriques. En séparant les activités électriques des activités thermiques de Renault Group et en projetant l’introduction en bourse d’Ampere au premier semestre 2024, Luca De Meo – subjugué par l’énorme capitalisation boursière de Tesla – escomptait stimuler les levées de fonds auprès des spéculateurs du monde entier. Il évoquait une possible capitalisation boursière à hauteur de 8 à 10 milliards d’euros, soit autant que Renault Group dans son intégralité ! « Renault est devenu une machine à faire du cash, ce qui n’était pas la spécialité de la maison » avait précisé le PDG.

Le pari du tournant tout électrique

Si le renouvellement du parc automobile promet des profits alléchants, cette restructuration d’ampleur n’était pas si évidente pour les constructeurs européens, qui bénéficiaient depuis des décennies d’une rentabilité forte. Poussés par la concurrence américaine et chinoise (et les subventions publiques !) les patrons de Renault et Stellantis ont pris le virage avec des stratégies diverses. Et pas toujours très réussies, comme cette introduction d’Ampère en bourse… annoncée, censée rapporter gros quand la capitalisation boursière de Tesla était au plus haut. Depuis, la bulle spéculative s’est dégonflée. Les technologies ne sont pas encore au point, le résultat des élections européennes est incertain et la perspective d’un arrêt de la commercialisation de tous les véhicules thermiques dans l’Union européenne dès 2035 n’est plus si sûre. De quoi alimenter la défiance des investisseurs. Le virage vers l’électrique est décidément difficile à négocier, car l’économie capitaliste révèle chaque jour de nouvelles contradictions.

Lutter contre le démantèlement… et ses conséquences

Mais de Meo n’a pas renoncé à ses objectifs : un million de véhicules électriques à l’horizon 2031, 25 milliards de chiffre d’affaires et une baisse de 40 % des coûts par véhicule à partir de 2027. Avec le démantèlement, des attaques violentes se préparent donc contre l’emploi et les conditions de travail, après avoir déjà supprimé quelque 5 000 postes en France en quatre ans (et encore plus d’emplois de sous-traitants ou d’intérimaires) à coups de plans de départs volontaires auxquels des salariés finissent par se résigner, dégoûtés par le management et l’absence de perspectives.

Depuis le 1er novembre 2023, l’éclatement de Renault en cinq entités se répercute sur chaque établissement. Les salariés de Guyancourt, de Lardy ou de Cléon sont ainsi divisés entre les différentes filiales, elles-mêmes réparties sur plusieurs sites.

La première conséquence est le démantèlement des collectifs de travail, visant l’affaiblissement des réactions collectives. Cela s’accompagne de la dénonciation de tous les accords d’entreprise et d’établissement, renégociés au rabais en effaçant les « avantages » que les travailleurs avaient pu arracher par leurs luttes. Et d’introduire au passage une « clause du grand-père » qui prévoit que les futurs embauchés des filiales seront moins bien lotis que les anciens salariés ex-Renault. C’est aussi un moyen de reconfigurer dans les sites et les filiales les rapports de force entre les organisations syndicales, au profit de celles qui « collaborent » (notamment la CFDT et la CFE-CGC) et contre les plus combatives, comme certains syndicats CGT. La direction de Renault veut des syndicats à sa botte, et fait taire les contestataires. Récemment, un militant CGT de l’usine de Cléon (Seine-Maritime) a été licencié sous un prétexte fallacieux. Comme quoi, les vieilles méthodes patronales de répression accompagnent volontiers le progrès technologique.

Mais même divisés en filiales différentes, les salariés du groupe Renault ont des intérêts et des armes en commun. D’ailleurs, avec le redécoupage des entreprises et de leur périmètre, ce démantèlement peut faire tomber des barrières et ouvrir aussi des perspectives de lutte commune entre salariés de sites et même d’entreprises différentes. Car désormais, tout le monde est sous-traitant ! Et il y a de quoi revendiquer : sur les conditions de travail, emplois et bien sûr les salaires, qui restent au plancher alors que les hauts cadres voient leur rémunération exploser et que les profits gonflent.

Et s’il fallait s’inspirer de la concurrence, la grande grève des ouvriers de l’automobile cet automne aux États-Unis montre que dans ce virage vers l’électrique dicté par les constructeurs, les salariés ne sont pas condamnés à rester au bord de la route !

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