Nos vies valent plus que leurs profits

Être capable de semer la terreur en Afrique ne suffit pas pour affronter d’autres puissances !

Dans le cadre de la guerre froide, l’impérialisme français tenait à conserver une place importante, en Europe en tout cas, au sein des impérialismes occidentaux. Avec la chute du mur de Berlin, la France, comme la plupart des autres pays européens, avait réduit ses dépenses militaires.

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’armée française s’était exclusivement illustrée dans des guerres coloniales et, depuis la fin de la guerre d’Algérie, elle était essentiellement déployée en Afrique, dans plusieurs de ses anciennes colonies, pour assurer le maintien de l’ordre impérialiste. Une armée organisée et équipée pour faire face à des populations démunies ou à des relativement petits groupes armés. Mais l’accumulation de tensions entre grandes puissances impérialistes ces dernières années pousse les dirigeants français à réorienter la doctrine militaire vers ce qu’ils appellent « la guerre de haute intensité », c’est-à-dire l’affrontement contre une grande armée moderne.

En juin 2021, vingt mois donc avant le début de la guerre en Ukraine, un rapport d’un « Think tank » américain spécialisé dans les questions militaires, le RAND, se plaignait que la diplomatie française juge improbable une guerre avec la Russie et pointait les faiblesses de l’armée française : « Compte tenu de leurs priorités stratégiques, (les forces françaises) ont toujours plus de capacités que la plupart des autres armées européennes. Mais la capacité de la France de soutenir un conflit de haute intensité est, quoi qu’il en soit, limitée. Les militaires français pourraient être en mesure d’accomplir toutes leurs missions mais ils manquent de masse : ces opérations épuiseraient rapidement ses ressources matérielles et humaines. »

Un constat semblable à celui que faisait au même moment l’Institut français des Relations internationales (Ifri) : « Alors que le format de la Marine nationale paraît taillé au plus juste, le double besoin de progressivité de la réponse et de concentration rapide des efforts au point décisif introduit l’impératif de masse. Il en va de même pour l’armée de Terre, où la perspective d’une confrontation face à un adversaire symétrique, capable de mobiliser des moyens à létalité équivalente voire supérieure, pose la question de la quantité d’hommes et d’équipements. Le retour de l’attrition dans un environnement aérien contesté et non-permissif exacerbe aussi le besoin de masse dans l’armée de l’Air et de l’Espace, à l’heure où sa structure de force est déjà fragilisée. »

Le 9 novembre 2022, la Revue nationale stratégique, présentée par le chef de l’État, faisait sienne ces préconisations : « La prise en compte du risque de conflit de haute intensité et de l’emploi de stratégies hybrides doit particulièrement guider nos réflexions pour accroître notre résilience » et énonçait dix objectifs stratégiques, dont celui de maintenir la France comme « alliée exemplaire dans l’espace euro-atlantique », « un des moteurs de l’autonomie stratégique européenne », ainsi qu’une « partenaire de souveraineté fiable et pourvoyeuse de sécurité crédible ». Tous les commentateurs de la presse bourgeoise insistent : après les vingt ans de période post-guerre froide, où l’armée s’est concentrée sur les opérations extérieures, il s’agit d’opérer une mutation.

Cette mutation n’a d’ailleurs pas commencé sous Macron, mais sous le mandat Hollande, qui a fixé que le budget Défense devait passer de 1,8 % à 2 % de la richesse nationale. À l’époque, le chef d’état-major des armées, le général Pierre de Villiers, avait aux côtés de Hollande et du ministre de la Défense d’alors, Jean-Yves Le Drian, publié une tribune dans lequel il était expliqué : « Nous devons nous assurer cet effort de défense pour moderniser les matériels, former les personnels », mais aussi « déployer des opérations ».

Comme on le voit, les « stratèges » n’avaient pas attendu le début de la guerre en Ukraine pour poser la question de moyens plus importants pour l’armée, autrement dit d’un retour à des budgets militaires plus conséquents. Le début de la guerre en Ukraine en février 2023 aura été l’occasion de mettre tout cela en œuvre.

Aurélien Perenna