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Face aux offensives d’Israël, les dirigeants iraniens dans une dangereuse position d’équilibristes

Depuis le 7 octobre, l’Iran s’était tenu à l’écart du conflit en Palestine, dans un jeu d’équilibriste subi entre la crainte d’un embrasement qui lui ferait affronter les États-Unis et ses positions hostiles à l’État d’Israël. Sa riposte à coups de 300 missiles et drones après l’assassinat des deux généraux n’avait été à ce titre que symbolique, et voulue comme telle. Les États-Unis avaient ainsi été prévenus. Il faut montrer les muscles, notamment par des déclarations guerrières, sans en faire usage, en donnant des gages de retenue. Le pari était d’obtenir le cessez-le-feu de la part de Biden, mais la guerre au Liban remet tout en question.

Comme Israël, l’Iran est une puissance régionale, même si ce n’est pas directement avec l’impérialisme américain qu’elle traite – mais elle reste en contact avec le camp occidental via des pays comme la France ou l’Allemagne. Comme telle, elle aussi est prête à maintenir l’ordre social si le besoin s’en faisait sentir. C’est en tant que puissance régionale qu’elle entretient des liens avec des organisations en Irak, au Yémen, en Syrie et au Liban, pays où le Hezbollah était et reste sans doute un de ses alliés les plus importants.

Mais l’Iran n’est probablement pas prêt à remettre en cause l’ensemble des équilibres au Moyen-Orient pour voler au secours du Hezbollah, pas plus qu’il ne l’a fait pour le Hamas à Gaza. Pas seulement parce que, derrière Israël, se tiennent les États-Unis. Mais aussi parce que le souci du régime dictatorial iranien n’est pas le sort des Libanais ou des Palestiniens mais juste le maintien de son propre poids dans la région, tout en évitant le risque d’explosion sociale.

Car il ne faut pas s’y tromper, Israël ne menace pas aujourd’hui l’existence du régime iranien, a fortiori celle de l’Iran, même si personne ne peut exclure que le conflit dérape et embrase toute la région. L’Iran est un pays de près de 90 millions d’habitants, immense et urbanisé, avec une armée nombreuse et relativement bien équipée. Bombarder des cibles est une chose, occuper un territoire en est une autre et ce serait un objectif totalement hors de portée de l’État d’Israël – jusqu’à présent, les États-Unis eux-mêmes ne se sont pas risqués à intervenir directement en Iran !

La situation actuelle ne fait donc pas planer un risque existentiel sur l’Iran et c’est en cela que le régime n’est pas directement menacé par l’affaiblissement considérable du Hezbollah. En revanche, le régime iranien est politiquement menacé… par sa propre population : la dictature des mollahs est haïe par la majorité de la population, en tout cas par les classes populaires, et c’est de ce point de vue que la situation actuelle le fragilise.

Quelles réactions à l’intérieur du pays ?

Depuis un an, le régime ménage par contre sa base sociale, d’autant plus précieuse qu’elle se réduit à peau de chagrin. Dans de nombreux posts, émissions, tracts, lettres à l’état-major, celle-ci, nationaliste à tout crin, pousse pour attaquer Tel-Aviv et pense que l’Iran a les moyens de le faire. Ce sont des groupes qui se clament anti-impérialistes et surtout défenseurs du régime, parfois basés dans les pays voisins, ou bien le « mouvement des étudiants pour la justice » dont certains sont membres des bassidjis (des forces de « sécurité » paramilitaires), donc organiquement liés au régime. Bien qu’ils ne représentent pas grand monde, ils sont un instrument de la propagande du régime et assurent sa popularité dans la région. C’est en cela qu’on peut comprendre pourquoi, malgré sa prudence, la République islamique montre à la télévision d’État des témoignages d’Iraniens et d’Iraniennes qui disent vouloir riposter contre Israël. Les manifestations organisées dans plusieurs villes le 27 septembre qui accompagnaient les cinq jours de deuil national servent à ne pas s’aliéner la sympathie de cette petite base et à garder une certaine crédibilité.

C’est qu’à côté, les oppositions sont fortes, quoique diversifiées, et une atmosphère guerrière pourrait calmer les velléités de contestation. Parmi elles, des positions pro-israéliennes, de ceux et celles, royalistes ou démocrates petits-bourgeois, qui voudraient voir chuter le régime au profit d’une relève pro-Otan. Il y a également des dégoûtés du régime pour qui « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ».

Et puis il y a eu, plus grave pour le régime, la séquence de soulèvements populaires, dont le mouvement de Jina il y a deux ans est le dernier épisode, qui a laissé des traces, les grèves de ces dernières années aussi. C’est vis-à-vis de ces couches-là, qui peuvent se sentir solidaires des opprimés du Liban ou de Palestine, que le régime se doit de donner un peu le change. Même s’il est fort probable que beaucoup voient dans les manifestations officielles de sympathie à l’égard de la Palestine une tentative d’union sacrée derrière lui (ce qu’elles sont).

Si bien que la gauche révolutionnaire, réprimée, pourchassée, est peut-être un peu seule pour l’instant à allier la fermeté du soutien au peuple palestinien à celle de la lutte contre la République islamique. Mais cette situation pourrait évoluer avec les récents événements au Liban et l’impunité de Netanyahou. Or, le plus grand danger pour le régime iranien comme pour les États-Unis serait qu’une indignation contre les puissances occidentales se transforme en révolte.

Barbara Kazan

 

 


 

 

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