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Fin de la grève à Boeing, des armes utiles pour les prochaines luttes

 

 

Après 101 jours de grève, les 3200 travailleurs de Boeing Defense, Space & Security, répartis dans deux usines du Missouri et une de l’Illinois, ont signé un accord. Face à une direction qui a prétendu ne rien vouloir lâcher et qui claironnait que la grève ne l’inquiétait pas, les grévistes ont finalement obtenu quelques améliorations de l’accord. L’occasion surtout, pour eux qui fabriquent notamment des F-15 et F-18, de vérifier que leurs véritables armes sont leur nombre et la lutte.

Des propositions honteuses

Alors que le précédent contrat, en application depuis 2022, arrivait à échéance, la direction de Boeing en a proposé un nouveau le 22 juillet dernier. Malgré l’avis favorable de l’International Association of Machinists and Aerospace Workers (IAM), le syndicat présent sur les usines Boeing, les travailleurs ont largement rejeté l’accord. 20 % d’augmentation sur quatre ans, ce qui ne compensait absolument pas l’inflation, une prime ponctuelle de 5000 dollars, à peine quelques jours de maladie et de congé en plus. Le tout sur fond de reculs réguliers soutenus par les syndicats : stagnation des salaires, échelles salariales à deux niveaux où il faut des années aux jeunes travailleurs pour atteindre les salaires maximums, et fin des retraites payées par Boeing au profit d’un régime par capitalisation. Mais surtout, Boeing introduisait la possibilité d’imposer des semaines de quatre fois dix heures et des trois fois douze, par exemple de faire travailler de lundi à jeudi des équipes de dix heures, ou le vendredi, samedi et dimanche des équipes de douze. La seconde offre, elle aussi soutenue par l’IAM et qualifiée par Boeing de meilleure et dernière offre, a été proposée le 31. Si elle supprimait la possibilité d’horaires alternatifs, elle restait très largement similaire à la première, à ceci près que les 5000 dollars ne seraient obtenus que si l’accord était voté, sans quoi Boeing retirerait la proposition. Un chantage qui n’a pas pris, pas plus que le battage de l’entreprise, largement repris par la presse, y compris française, sur les prétendus 40 % d’augmentation en moyenne sur quatre ans, moyenne qui cachait des écarts de salaires et de progression entre les travailleurs. Les travailleurs ont donc largement voté contre l’accord le 3 août, imposant à l’IAM de lancer la grève. C’est avec en tête l’idée que la montée du militarisme renforçait leurs moyens de pression et forts de l’expérience de la grève de leurs 33 000 camarades des usines civiles de Boeing de 2024, que les travailleurs ont engagé la lutte. Ils revendiquaient d’ailleurs les mêmes améliorations que celles de la grève des travailleurs de Boeing à Seattle.

Au cours de la grève, ils ont été amenés à voter quatre fois. Le 10 septembre, un accord entre L’IAM et Boeing a été trouvé, qui ne proposait que d’allonger d’un an la précédente proposition et comprenait une prime de 4 000 dollars si l’accord était signé, soit 1 000 de moins que la précédente. Une proposition jugée méprisante par les travailleurs qui ont massivement voté contre.
Le 19 septembre, c’est l’IAM qui a confectionné sa propre mouture du nouveau contrat, avec de meilleures augmentations et une prime de ratification plus élevée, mouture approuvée par les grévistes mais rejetée, sans surprise, par Boeing. Le 22 octobre, plus d’un mois après, l’IAM a rejeté une proposition de Boeing tout en acceptant de la soumettre au vote le 26 : c’est le non qui l’a emporté d’une courte tête. Boeing a fini par proposer 24 % d’augmentation sur cinq ans, une prime de 6 000 dollars et le paiement d’heures de congés en cas d’impossibilité pour un travailleur de poser toutes les heures accumulées. Cette fois, la proposition a été acceptée par les travailleurs le 13 novembre.

Boeing comme adversaire, de nombreux faux amis

Après avoir annoncé détenir un plan pour résister à une grève, la direction de Boeing a rapidement cherché à la briser : elle a commencé par lancer une campagne de recrutement de travailleurs permanents pour briser la grève, avant d’en appeler à la sous-traitance, pour finalement encourager les partisans toujours plus nombreux d’un accord à franchir les piquets. Ces manœuvres, dont la réussite reste très relative, n’ont pas empêché des retards sur la livraison des avions de guerre, au point d’en inquiéter l’armée et l’État. Plusieurs élus, républicains comme démocrates, au rang desquels Bernie Sanders, ont demandé à Boeing de trouver une issue pour ne pas trop retarder les livraisons, pour l’armée américaine et pour les pays amis auprès desquels la vente d’armes est un élément important de la diplomatie. Peut-être aussi par crainte d’une contagion au sein du complexe militaro-industriel. Ces élus n’ont pourtant pas franchi le cap de retrouver les grévistes sur leurs piquets pour leur apporter un réel soutien, se mettre à leur service.

Ça n’a pas empêché l’IAM de s’en remettre à l’État et à ses élus pour trouver une issue rapide au conflit et de saluer comme une victoire chaque geste de leur part. Il faut dire qu’à chaque étape, l’IAM a cherché une voie de garage à la grève, poussant presque systématiquement les travailleurs à accepter les propositions de la direction. Mais jamais ils n’ont cherché à s’adresser sérieusement aux usines alentour, dans lesquelles, pourtant, les travailleurs subissent les mêmes dégradations du niveau de vie, ni aux travailleurs que Boeing entendait embaucher. Et il n’a évidemment jamais été question pour le syndicat de laisser les travailleurs diriger eux-mêmes leur grève : dans la plus pure tradition bureaucratique américaine, ils ont organisé tout seuls les piquets, avec certes beaucoup de méthode, mais ne consultant les grévistes que pour les votes des propositions de Boeing. Sans doute étaient-ils plus occupés à encourager le patriotisme chez les travailleurs, à l’instar du président du district auxquels appartiennent ces travailleurs, qui déclarait : « C’est à l’entreprise de ramener nos membres à ce qu’ils font de mieux : construire des avions de classe mondiale pour la défense de notre pays. » En se situant sur le terrain du nationalisme et de la défense de leur pays, quand aujourd’hui la « défense » des États-Unis se joue très loin des frontières américaines, les dirigeants de l’IAM se placent sur le terrain de Boeing et de l’État américain, à l’opposé de celui des travailleurs qu’ils représentent.

Si les concessions obtenues peuvent nous sembler faibles au regard de l’importance de la grève, les travailleurs qui l’ont massivement menée peuvent déjà être fier d’avoir livré ce combat. On ne peut que leur souhaiter de tirer les bilans de cette grève pour les prochaines, en se préparant à imposer leur volonté à leur direction.


Marinette Wren