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Fret SNCF : derrière l’attaque contre les cheminots, toute la barbarie et l’absurdité du capitalisme

Depuis plusieurs mois, les travailleurs de Fret SNCF étaient sous la menace de la Commission européenne. À la suite de la plainte de plusieurs concurrents de la filiale du groupe SNCF, une enquête pour « distorsion de concurrence » était ouverte. Bruxelles soupçonne l’État d’avoir favorisé Fret SNCF aux dépens des autres compagnies de fret ferroviaire. En réponse, Clément Beaune, ministre des Transports, a annoncé, le 23 mai, un plan de « sauvetage » qui prévoit la liquidation de Fret SNCF et la création d’une nouvelle entreprise qui céderait 30 % de ses marchés les plus rentables. Cinq cents emplois seraient ainsi supprimés et beaucoup d’autres menacés. Cette attaque se place dans la lignée de celles menées, depuis bientôt trente ans, par les gouvernements de droite comme de gauche. Elle est un exemple de ce système toujours plus vorace sur les profits et incapable de prendre la mesure des enjeux écologiques auxquels fait face l’humanité.

Quand les patrons sont pris la main dans le sac, on punit les travailleurs !

La Commission européenne reproche notamment à l’État le transfert d’une dette de 5,3 milliards d’euros de Fret SNCF au groupe SNCF, lorsque l’entreprise a été filialisée en 2020, suite à la réforme du ferroviaire de 2018. Réforme pilotée par une certaine Élisabeth Borne, à l’époque ministre des Transports. Anticipant les conclusions de l’enquête et l’obligation pour Fret SNCF de rembourser cette dette qui aurait mis l’entreprise en faillite, l’État a avancé un plan de « discontinuité ». Ce dernier doit permettre de négocier avec Bruxelles en faisant payer aux travailleurs du fret les erreurs de gestion du groupe SNCF et du gouvernement. Résultat : Fret SNCF doit transférer 500 salariés de la maintenance dans une entreprise créée pour l’occasion sans qu’aucune information n’ait été donnée sur les conditions de ces transferts. Elle doit aussi céder près de 30 % de son volume d’activité qui occupe aujourd’hui 500 autres salariés. Or, ces derniers n’ont aucune garantie d’être repris par les entreprises qui se positionneront sur les marchés cédés, et, s’ils étaient repris, aucune garantie sur leurs contrats. Si la direction affirme que tous pourront rester au sein du groupe SNCF, aucune garantie non plus n’est donnée que les réaffectations se fassent sur des postes géographiquement accessibles, à conditions de travail et de rémunération équivalentes.

Et, pour les travailleurs qui rejoindront la société de droit privé issue de Fret SNCF, le démantèlement de l’entreprise ne peut qu’être la prémisse de nouvelles attaques. En effet, les trafics que doit céder l’entreprise sont ceux qui peuvent facilement trouver repreneur et sont donc les plus rentables. Il s’agit principalement des trains dédiés : des trains réguliers affrétés pour des clients uniques et roulant à plein, à l’aller comme au retour. Au contraire, les marchés que devrait conserver la future société issue de Fret SNCF sont majoritairement des trains formés à partir de wagons isolés, pour des besoins limités et moins réguliers. Or, ces trains nécessitent une main-d’œuvre importante. Ils doivent être triés et réassemblés à chaque arrêt sur des gares de triage où les wagons devant être livrés à proximité sont détachés. Ils sont donc, de fait, moins rentables. Il est ainsi évident que la nécessité de dégager des marges sur ces trafics et assurer la profitabilité de l’entreprise servira de justification pour les prochaines réorganisations visant à intensifier l’exploitation du travail dans ce secteur. Cette nouvelle attaque se place donc dans la continuité d’une politique qui a abouti à la suppression de plus de la moitié des effectifs de Fret SNCF. Ceux-ci sont passés de plus de 10 000 en 2010 à 5 000 aujourd’hui. L’intensification du travail consiste en somme à utiliser moins de personnel pour faire rouler plus de trains, y compris au détriment de la sécurité.

Les trains dédiés ont un fonctionnement proche des trains massifs. Source : https://lvsl.fr/la-longue-agonie-du-fret-ferroviaire</a>

Le fret ferroviaire, symbole de l’irrationalité et de la barbarie du capitalisme

Lors de la réorganisation des trains dans les triages, certaines règles de sécurité, dans l’inspection et le positionnement des wagons par exemple, doivent être respectées. Or, les réductions de personnel poussent souvent les directions à annuler certaines opérations jugées chronophages mais essentielles à la sécurité des circulations. Ainsi, le déraillement d’un train transportant des produits chimiques mortels dans une petite ville de l’Ohio, aux États-Unis, le 3 février dernier, semble être la conséquence directe d’une telle politique. (Voir à ce sujet l’article sur notre site : États-Unis : les profiteurs du rail et le gouvernement responsables de l’accident toxique)

Mais une autre conséquence de cette course à la rentabilité pourrait aussi être l’abandon des services de fret ferroviaire jugés les moins rentables. Cette politique ne date pas d’hier. En 1997, le gouvernement Jospin qui réunissait socialistes, dont Mélenchon, communistes et écologistes signa les décrets d’application séparant la SNCF en deux : d’un côté Réseau ferré de France (RFF) se chargeant de l’entretien de l’infrastructure, de l’autre la SNCF qui se chargeait de son exploitation. Cette dernière était, de fait, prête à l’ouverture à la concurrence. Le secteur du transport de marchandises fut le premier à en faire les frais en 2003 pour les trafics internationaux et en 2006 pour les trafics nationaux. De nouvelles entreprises arrivèrent sur le marché, dont Captrain, filiale détenue à 100 % par… la SNCF !

Fret SNCF dut alors sortir d’une logique de recherche de volume pour rentrer dans celle de la rentabilité. En plus du massacre des effectifs cité plus haut, l’entreprise demanda aux sites industriels de payer pour la maintenance des voies qui les reliaient aux gares de triage. Du coup, les plus petites entreprises et les plus isolées, pour lesquelles ces coûts étaient les plus importants, se reportèrent massivement sur le transport routier.

Ainsi, en Rhône-Alpes, 88 Installations terminales embranchées (ITE) connectent au réseau ferré des entreprises comme Solvay, Total, Sanofi, Kronenbourg, Ikea, Conforama, etc. Mais plus de la moitié, 48, sont inutilisées ! Cette sous-exploitation du fret ferroviaire s’observe aussi sur la gare de triage de Sibelin au sud de Lyon. Le site trie en moyenne 270 wagons par jour alors qu’il est dimensionné pour en traiter 2500 ! Ainsi, on voit comment la baisse d’activité dans le fret menace aussi les travailleurs des autres établissements ferroviaires. En effet, la baisse d’activité dans les gares de triage permet, par exemple, de justifier la suppression d’emplois à la maintenance des infrastructures et chez les aiguilleurs qui dépendent de SNCF Réseau.

De manière générale, entre 2008 et 2018, le volume de marchandises transportées par rail a baissé d’un quart. Une baisse qui s’inscrit dans la durée, puisque la part du ferroviaire dans le transport de marchandise est passé de 30 % en 1984 à 14 % en 2003, pour culminer à 9 % en 2018, tandis qu’avec le report modal, le trafic routier a explosé. Mais le Groupe SNCF n’y a pas perdu pour autant puisqu’il est présent dans ce secteur au travers de sa filiale Geodis, leader mondial dans la logistique !

Ainsi, le plan de « sauvetage » proposé par le gouvernement s’inscrit dans la continuité des attaques menées depuis plus de trente ans contre les travailleurs du rail. Celles-ci démontrent aussi toute l’absurdité du système capitaliste dans lequel la rentabilité est la seule mesure déterminant l’organisation de la production aux dépens des conditions de travail des producteurs, de la sécurité et de la protection de l’environnement.

Arthur Sylvestre