Les immigrés en France font pratiquement tous partie de la classe ouvrière. Des plus exploités, des plus mal payés, peut-être. Mais c’est le fait d’être des travailleurs, comme nous tous, les seuls qui soient indispensables pour faire tourner toute la machine, sur les chantiers, dans les usines, les cuisines des restaurants ou parmi la main-d’œuvre agricole, qui fait leur force. Comme on l’a vu notamment lors du mouvement de grève massif des travailleurs sans papiers de 2007-2008. Sans papiers, peut-être, mais indispensables comme cet ouvrier gréviste du bâtiment qui montrait à la télé son seul papier officiel : son laissez-passer pour entrer dans les locaux de l’Assemblée nationale, puisqu’il y faisait les travaux. Cette Assemblée qui lui refusait le droit de séjour.
2007 – Après une énième campagne anti-immigrés, Sarkozy était élu président de la République. Quelques semaines plus tard, lors d’une grève dans l’Essonne au restaurant Buffalo Grill, des travailleurs sans papiers réclamaient leur régularisation et obtenaient gain de cause pour la première fois dans une entreprise. Plus tard, fin 2007, une circulaire du gouvernement intégrait la régularisation de travailleurs, mais excluait les intérimaires.
Avril 2008 – Après des grèves avec occupation dans la restauration et bien d’autres secteurs commerciaux et industriels, dont trois d’agences d’intérim à Paris, certaines dirigées directement par les grévistes organisés en comités de grève, les discussions avec le gouvernement ont permis de régulariser des centaines de grévistes, avec l’accord de l’employeur.
Fin 2008 – Suite à l’occupation de l’agence Perfect Interim, des négociations entre l’administration et la CGT intérim ont abouti à une modification de la circulaire de 2007, ouvrant la voie à la régularisation des intérimaires.
Suite à ces grèves, des centaines de dépôts de dossiers ont permis de nombreuses régularisations en préfecture. Mais, en l’absence de nouvelles grèves, le gouvernement a assez vite adopté une stratégie d’enlisement.
En 2009 – Un groupe de onze organisations (associations et syndicats) s’est réuni et a planifié le lancement d’une vague de grèves dans le bâtiment, le nettoyage, la restauration, l’intérim, avec des occupations à partir d’octobre 2009. Ce mouvement a duré jusqu’à fin 2010 et a mobilisé 6 800 grévistes. Les intérimaires ont occupé des dizaines d’agences d’intérim, puis, tous ensemble, le bitume 24 heures sur 24 au pied de l’opéra Bastille durant plusieurs semaines en mai et juin 2010, jusqu’à l’obtention de nouvelles promesses de régularisation, ainsi que la Cité de l’histoire de l’immigration (!) à l’automne 2010…
La majorité des grévistes a finalement été régularisée et des milliers de travailleurs sans papiers ont négocié directement avec leurs employeurs et les préfectures.
Ce mouvement, très populaire pendant toute sa durée, a mis en lumière la condition principalement ouvrière de l’immigration, reliant cette lutte à celle de tous les travailleurs. Les sans-papiers ne sont pas des gens qu’il faudrait « assister », mais des travailleurs qui luttent contre les conditions de leur exploitation !
Bertrand Page
(Article paru dans Révolutionnaires, numéro 9, janvier 2024)