Intervention de Pierre Fabre, conducteur de car et candidat de la liste « Pour un monde sans frontières ni patrons, urgence révolution ! » au meeting à Lyon le 28 mai 2024
Pour une Europe des travailleurs
Il semble qu’un léger frémissement s’empare de la campagne européenne. L’intérêt pour cette élection va crescendo, même si ça a été un peu long à démarrer. C’est normal d’ailleurs : à part dans les milieux politisés, personne ne sait trop à quoi rime cette élection européenne. Pourquoi un parlement européen élu au suffrage universel ? D’une manière générale, les institutions européennes ont très mauvaise presse, en particulier dans les milieux populaires.
Dès les premiers pas de la construction européenne, juste après la Seconde Guerre mondiale, on pouvait voir que derrière les grandes phrases sur le « plus jamais ça »… c’est bien des réalités économiques et politiques qui, dès 1951, ont servi de motivation à l’édification de l’Europe. Son premier nom était d’ailleurs Ceca (Communauté économique pour le charbon et l’acier, des matières premières déterminantes en particulier dans l’industrie militaire. Très vite, c’est autour de la question du nucléaire que les États membres ont étendu leur collaboration. C’est globalement toujours, élargissement après élargissement, les possibilités d’extension du marché commun qui ont été le critère décisif, pour les bourgeoisies française et allemande, qui sont les plus bénéficiaires dans cette construction.
Dès l’après-guerre, la France et la République fédérale d’Allemagne (RFA) ont la volonté de se rassembler pour continuer à peser dans le concert international après les destructions. En effet, les États-Unis et l’URSS sont les vainqueurs et se livrent une guerre froide dont le théâtre est la vieille Europe, devenue une véritable zone d’influence entre les deux « grands ».
Pour les anciennes puissances impérialistes, pour continuer à exister, pas d’autre choix que de s’allier sur le plan économique. Une option qui finira même par être adoptée par les Britanniques à partir de 1973, en dépit de leurs relations privilégiées avec les États-Unis.
Ce marché commun nous est vendu, c’est le cas de le dire, comme un facteur de liberté. Parce qu’une bonne partie du personnel politique bourgeois se déclare favorable à cette construction européenne, à quelques nuances près, du Parti socialiste aux Républicains de LR, en passant par la Macronie, cette élection est une nouvelle occasion de chanter les louanges du marché et de la libre concurrence. Quand, pour les plus va-t-en guerre comme Glucksmann, l’Europe ne devrait pas aller jusqu’à servir de rempart aux velléités impérialistes de la Russie poutinienne.
Liberté de circulation, des biens, des services, des personnes, mais surtout des capitaux. Il est appréciable, c’est vrai, de se rendre aussi facilement en Italie ou en Allemagne, enfin seulement quand on a une nationalité européenne, la liberté de circulation reste un privilège.
Mais la grande œuvre de l’Europe, avec ce marché commun, c’est d’instaurer une concurrence à l’intérieur même du continent, car qui dit marché dit concurrence. Ainsi, le couplage des élargissements successifs liés à la chute du mur de Berlin et de l’accélération des échanges (en particulier avec l’utilisation de l’informatique), ont contribué à faire de la construction européenne un puissant facteur de la mondialisation du capitalisme.
Trois exemples de l’actualité sociale le mettent en lumière. Parlons de l’entreprise Prysmian, pour commencer, dont deux établissements se trouvent dans le nord Isère : une usine complète a été fermée dans le nord en prétextant la concurrence des ouvriers roumains. Plus de 200 ouvriers sont restés sur le carreau.
MA France, un sous-traitant automobile, est également une entreprise liquidée avec 280 CDI, dont le donneur d’ordre est Stellantis, qui aurait largement eu les moyens de sauver les emplois. Là encore, c’est une prétendue délocalisation en Turquie qui a été agitée.
L’union locale CGT de Pont-de-Chéruy sera présente pendant le CSE de l’entreprise Logiplast, un plasturgiste fabriquant de sièges auto pour jeunes enfants, détenue par un fonds de pension espagnol, qui laisse planer des menaces sur la continuité de la production. N’en déplaise aux préjugés nationalistes, lorsque le patron local était propriétaire, les conditions de travail étaient connues pour être déplorables.
L’illusion d’un souverainisme économique et de la protection liée à la fermeture des frontières pourrait passer pour l’apanage de l’extrême droite seulement, même si le Rassemblement national se fait de plus en plus discret sur ses critiques de l’Europe. En effet, cette illusion de pouvoir faire tourner la roue de l’histoire à l’envers marche bien avec le racisme, le post-colonialisme tout à fait dans les gènes de cette famille politique (comme on le voit avec les prises de position sur la Kanaky-Nouvelle Calédonie). Le retour d’un patronat paternaliste qui se goinfre uniquement sur un marché domestique sent bon le temps béni des colonies non ? On sait où conduisent ces idées, dans le pire des cas. On a vu ce Brexit, qui a été adopté après une campagne ordurière contre les immigrés, et qui n’a absolument pas amélioré le sort des travailleurs britanniques.
Mais quelle déception de voir cela également dans le discours de la plupart des listes de gauche. On pense à la France insoumise et au Parti communiste français, qui font assaut d’argumentation rétrograde sur ce terrain-là… On se demande s’il s’agit d’aller sur le terrain de l’extrême droite pour lui revendiquer des électeurs ? Cela fait un peu apprenti sorcier ! Mais à défendre la réindustrialisation et le localisme, on se demande ce qui distingue sur ce terrain de Bardella et compagnie.
On a vu Ruffin, en défense des ouvriers de Prysmian, déclarer que l’État devait s’interposer, laissant entendre qu’un bon État, dont lui serait le représentant, n’aurait pas laissé faire. C’est exactement le contraire, c’est parce que l’État (quelle que soit la couleur de ceux qui le dirigent) est au service des capitalistes, qu’il peut se conduire de cette manière et laisser sur le carreau des centaines de familles ouvrières.
Les illusions sur une bonne gestion de l’État par la social-démocratie, c’est encore plus vieux que la construction européenne.
Car en fait, présenter ce type de voie de garage, c’est au fond ne pas faire confiance à la classe ouvrière, à sa capacité à lutter et à renverser le capitalisme, c’est l’enfermer dans des carcans patriotiques.
Non, nous ne sauverons pas le moindre « modèle » qu’il soit français ou non. Au contraire, le seul moyen de sauvegarder emplois, salaires ou conditions de travail, c’est précisément d’étendre les luttes à une autre échelle. Une échelle de contestation globale de toute l’organisation économique et de son remplacement par une société où ceux qui travaillent décident.
Et les conditions économiques sont aujourd’hui absolument réunies pour cela.
Les interconnexions à l’échelle continentale sont systématiques, et les entreprises sont interdépendantes, comme l’a démontré la grève de MA France, qui a mis à l’arrêt plusieurs sites, dont l’usine PSA Poissy.
Quand on achète une voiture aujourd’hui, ou l’autocar que je conduirai demain, il est quasiment impossible de savoir d’où proviennent la totalité des pièces nécessaires. La moindre grève a toujours des incidences sur la totalité de la chaine de production concernée, voilà pourquoi nous sommes une seule et même classe ouvrière.
Voilà pourquoi nos idées et notre campagne sont fondamentalement internationalistes. La construction de l’Europe sous l’égide de la bourgeoisie ne pourra jamais être autre chose qu’une construction de flics et de marchands, car c’est cela, la bourgeoisie. L’établissement d’une société fraternelle débarrassée des frontières, cette œuvre-là ne pourra qu’être celle de la classe ouvrière, en remettant à l’ordre du jour un vieux mot d’ordre du mouvement ouvrier : les États unis socialistes d’Europe !