Depuis septembre 2022, l’Iran est traversé par une vague de mobilisations contre le régime islamique avec la jeunesse en première ligne : manifestations et affrontements contre l’obligation faite aux femmes de porter le voile, mais aussi contre l’oppression nationale au Kurdistan et au Balouchistan. Même si la presse l’évoque moins, le prolétariat des peuples d’Iran s’organise et lutte lui aussi, en solidarité avec les autres couches sociales engagées pour faire tomber la dictature, mais avec ses propres méthodes.
Une lutte prolongée malgré une répression sanguinaire
La répression est cruelle avec, depuis le début de l’explosion sociale, plus de 469 tués par balles ou sous la torture (dont 60 mineurs), 22 000 arrestations, 324 exécutions capitales depuis janvier 2023 (dont des dizaines d’opposants mêlés au droit commun), des centaines de viols. La vague des manifestations quotidiennes puis hebdomadaires a reflué, l’agitation sur les campus est devenue souterraine, mais les affrontements n’ont pas cessé dans les quartiers populaires ou les villes en province. Au mois de mai, des actions contre des symboles du pouvoir ont été organisées : l’attaque d’un palais de justice à Mashad, de bases des paramilitaires des bassidji (milices de quartier) dans la capitale Téhéran, à Arak, Kermanshah, Urmia, mais aussi une fondation économique islamique (une branche des Bonyads) chargée de gérer la pénurie, et enfin un symbole du fondamentalisme à Ispahan.
Et une succession de grèves
Des actions de grèves ont été entreprises depuis le début du mouvement, sans jamais prendre l’ampleur suffisante pour devenir un facteur politique. Parfois de simples débrayages, ou des rassemblements informels lors de pauses, mais aussi des bagarres générales avec l’encadrement dans des cantines : ces actions ont permis à des équipes préexistantes, certaines constituées dès 2015, de se relier. Autour des fêtes du nouvel an persan (Norouz, le 20 mars)1, on a vu surgir l’expression de revendications salariales qui s’ajoutent au climat politique général. Parties du secteur pétrolier mais aussi gazier, ces mobilisations regroupant près de dix mille grévistes se sont données pour expression un Conseil d’Organisation des Grèves des Travailleurs contractuels du Pétrole. Des milliers de travailleurs, payés à la journée, réclament, dans la continuité des luttes de 2021, 79 % d’augmentation des salaires pour rattraper l’inflation, un aménagement du temps de travail (20 jours travaillés avec 10 jours de repos), la fin de l’intérim généralisé. Le régime a lâché 27 % d’augmentation du salaire minimum sans éteindre la colère. Le 27 avril, après des actions en amont depuis le 15, ils étaient des milliers en grève avec une extension à 93 sites du secteur de l’énergie, avec aussi des travailleurs de mines de cuivre et de l’acier. Le 22 mai ce sont les travailleurs des transports qui se sont mis en grève plusieurs jours à Arak, Bandar Abbas, Ispahan. Les lock-out patronaux, l’arrestation d’avocats défenseurs des travailleurs, les arrestations de centaines de militants ouvriers et les milliers de licenciements n’ont pas non plus calmé la contestation dans les entreprises. Cette prise de conscience, loin des compromis politiciens, est grosse d’espoir.
19 juin 2023, Tristan Katz
(Article paru dans Révolutionnaires numéro 3, été 2023)
1 Selon le calendrier persan le 20 mars ouvre une nouvelle année, la 1402 ième, nom donné par ailleurs par les militants à cette campagne revendicative ouvrière.