Le 10 juillet, en Kanaky, les forces de répression coloniales ont encore tué un militant indépendantiste, Rock Victorin Wamytan, dit Banane, portant à dix le nombre de morts officiellement recensés – les organisations indépendantistes parlent de plus du double et ont qualifié la mort de Rock Wamytan « d’acte de guerre ».
À l’occasion du 14 juillet, Sonia Backès, la présidente de la Province Sud, anti-indépendantiste véhémente, a prononcé un discours incendiaire, remettant en cause les accords de Nouméa de 1998 et appelant à la séparation de la province Sud (avec Nouméa) du reste du territoire (provinces Nord et provinces des îles dirigées par les indépendantistes). Dans le contexte actuel de révolte des populations kanak, le retour de cette vieille revendication d’une partie de l’extrême droite locale est une véritable déclaration de guerre aux indépendantistes, Sonia Backès n’hésitant pas à traiter les actions des Kanak révoltés d’« exactions abjectes », d’« actes barbares » et à dénoncer dans les indépendantistes des « personnes ivres de haine », qui « insultent notre histoire » et portent un « projet politique mortifère », à savoir l’indépendance de la Kanaky. Il est clair que Sonia Backès – que Macron avait intégrée dans le gouvernement d’Élisabeth Borne, malgré le fait, rapporté par Le Monde le 15 juillet, que le « clan Backès avait appelé à voter Marine Le Pen » aux élections présidentielles de 2017 ! – cherche à mettre la pression sur le prochain gouvernement en donnant des gages à l’extrême droite locale et à ses milices.
Cette situation a été largement favorisée par l’attitude du gouvernement français. L’État entretient une guerre larvée dans cette colonie à laquelle l’impérialisme français s’accroche à la fois pour ses richesses minières et sa position stratégique dans la zone indo-pacifique, l’archipel offrant à la France une zone économique exclusive de 1,7 million de kilomètres-carrés… et la garantie d’une présence militaire possible dans les eaux territoriales liées à l’archipel. Le 19 juin, l’État français avait arrêté treize leaders indépendantistes kanak et en avait déporté sept à plus de 17 000 kilomètres de chez eux, dans des prisons à Bourges, Mulhouse, Blois, Orléans et Villefranche-sur-Saône. Cet éloignement de la Kanaky a été justifié par une volonté d’« apaisement ». En réalité, le gouvernement a voulu arrêter ceux qui symbolisent la révolte. Il ne pouvait pas ignorer que ces arrestations allaient jeter de l’huile sur le feu : c’est donc l’escalade que le gouvernement a choisie et non l’apaisement ! Sa détermination a été renforcée par le résultat des élections législatives où, pour la première fois depuis la fin du mandat de Rock Pidjot – député de Nouvelle-Calédonie de 1964 à 1986 et premier président de l’Union calédonienne – un député kanak a été élu, Emmanuel Tjibaou – le fils de Jean-Marie Tjibaou, le dirigeant indépendantiste assassiné en 1989 – dans la seconde circonscription, celle qui englobe l’essentiel de la Grande Terre, à l’exception notable de Nouméa.
L’évolution des résultats entre le premier et le deuxième référendum d’autodétermination prévus par les accords de Nouméa de 1998 avait déjà révélé une augmentation du vote indépendantiste. C’est bien pour contrer cette évolution que Macron avait maintenu contre vents et marée la date du troisième référendum, boycotté par les indépendantistes kanak pour cause de Covid. Macron avait osé s’appuyer sur des résultats sans aucune signification du fait de ce boycott pour affirmer que les Calédoniens avaient rejeté l’indépendance ! Et c’est pour consolider cette position qu’il avait décidé d’élargir le corps électoral local à des colons de fraîche date – exclus des listes électorales pour les élections locales par les accords de 1988 et 1998 – afin de rendre encore plus minoritaires les Kanak sur leurs propres terres. De ce point de vue, et alors que les élections législatives ont eu lieu sur la base d’un corps électoral encore plus large que celui voulu par Macron puisqu’il ne s’agissait pas d’élections locales, l’élection d’Emmanuel Tjibaou confirme la tendance au renforcement des indépendantistes, y compris sur le terrain biaisé des élections.
Pour l’instant, il semble bien que les représentants des macronistes dans l’archipel, tout comme certains représentants patronaux, n’adhèrent pas aux propos de Sonia Backès. Mais le discours de cette dernière vise les colons radicalisés, ceux qui craignent d’être « dépossédés » des richesses et des terres au profit des Kanak… qu’eux et leurs ancêtres ont dépossédés…
Dans ce contexte où le gouvernement a considérablement renforcé la présence des flics et des soldats français depuis le 13 mai dernier, et où l’extrême droite locale devient la voix principale des colons, le peuple kanak doit pouvoir compter sur le soutien du mouvement ouvrier français. L’État, qui se prétend « impartial » entre le camp des colons et celui des indépendantistes ne l’a jamais été et a toujours choisi d’appuyer les colons, les vecteurs de sa présence dans l’archipel. Un État français et des colons qui n’ont visiblement rien appris depuis la guerre d’Algérie…
Troupes françaises, hors de Kanaky ! La population kanak doit pouvoir librement décider de son propre sort !
Jean-Jacques Franquier et Marc Fouilloux