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Keolis Porte des Alpes (KPA) et Grindler : en grève illimitée pour imposer des augmentations de salaires

Piquet de grève de Vif le mardi 3 janvier 2023 : les grévistes effectuent un barrage filtrant en traversant et retraversant un passage piéton.

 

Depuis mardi 3 janvier, les conducteurs de deux entreprises de transport interurbain de l’Isère, Keolis Porte des Alpes et Grindler, sont en grève. Ces conducteurs font les lignes départementales, les services scolaires et sont sous-traitants de certaines lignes du réseau urbain grenoblois. Ils sont 90 en grève, sur un effectif total de 170 conducteurs.

Des 3 jours à la grève illimitée

La grève a été préparée par deux assemblées générales pendant les vacances de Noël. Parmi elles, il y avait les équipes syndicales des deux entreprises, mais aussi des conducteurs non-syndiqués dont c’était la première réunion. Ces AG ont permis de voter les revendications de la grève, dont la principale est l’augmentation du taux horaire à l’embauche pour qu’il atteigne 13€ bruts, soit une augmentation de plus de 150€ par mois. Ce serait un minimum pour attirer dans la profession les conducteurs qui manquent tant. La pénurie de personnel est telle que les réseaux ne fonctionnent plus normalement depuis plusieurs mois. « À l’heure du réchauffement climatique, [c’est] une absurdité et un crime » comme l’écrivent les grévistes dans leur tract.

Tract du comité de grève du 3 janvier 2023.

Les assemblées générales préparatoires ont également permis d’organiser la grève. Elle devait initialement avoir lieu les 3, 4 et 5 janvier. Mais le premier jour, sur le piquet de grève qui se tenait sur le dépôt de Vif au sud de Grenoble, le succès et la détermination de la soixantaine de présents était telle que les grévistes ont voté à une large majorité la grève illimitée.

Grosse ficelle

La direction tente alors un coup. Officiellement, elle veut négocier. Mais dans la pratique, elle n’accepte la discussion que dans le cadre des NAO (négociations annuelles obligatoires), et en suspend l’ouverture non seulement à l’arrêt de la grève, mais en plus au retrait du préavis de grève qui court jusqu’au 31 mars. Or, dans le transport de voyageurs, le simple fait de poser un préavis prend huit jours, après quoi il faut encore attendre cinq jours pour pouvoir commencer la grève, tout en s’étant déclaré 48 heures à l’avance (vous suivez ?). Ces délais sont censés donner aux directions les moyens d’organiser un « service minimum ». Mais, du fait de la pénurie de conducteurs et de la force de la grève à KPA et Grindler, délais ou pas, la production est par terre !

« Engagez-vous à cesser la grève, en échange de quoi nous promettons de commencer à discuter », tel est le chantage de la direction. Le piège est un peu grossier et les grévistes ne sont pas tombés dedans. Ils ont des revendications claires, la direction peut les discuter (à toutes fins utiles, cela s’appelle « négocier ») plutôt que de tenter des effets de manche.

Piquet de grève de Charvieu le 3 janvier 2022, les grévistes ont ensuite rejoint le piquet commun à Vif

Une expérience de démocratie ouvrière

En attendant, la grève continue et s’organise. Quotidiennement, les grévistes se réunissent en assemblée générale pour discuter de leur mobilisation et de ses suites. De ces assemblées générales émane un comité de grève qui réunit tous ceux qui veulent s’impliquer dans la conduite de la lutte. Il réunit des syndiqués, parmi lesquels des élus, et des non-syndiqués. Il rédige des tracts quotidiens (comme celui ci-dessous), prépare les piquets qui sont organisés successivement sur chacun des dépôts, prend contact avec la presse, gère la caisse de grève…

La suite de la semaine s’annonce chaude. La direction est sur des charbons ardents. Mais comment la faire céder ? Ce qu’elle pourrait bien craindre, c’est l’extension du mouvement à d’autres entreprises de transport, dans le coin ou plus loin, comme TICE à Évry, qui partagent les mêmes problèmes.

Depuis plusieurs mois, le patronat du secteur compose avec des grèves qui éclatent de partout et qui partagent systématiquement les mêmes revendications sur les salaires et les conditions de travail. Tout ça, dans un contexte où la pénurie de conducteurs donne plus de visibilité à chacune de ses grèves. C’est donc plus que jamais le moment d’entamer un mouvement généralisé : c’est le seul moyen de les faire plier.

Bastien Thomas