C’est en substance le chantage que le patron d’Airbus, Guillaume Faury, exprime dans une interview donnée le mois dernier, après que la branche spatiale du groupe européen ait annoncé sa volonté de supprimer 2500 postes.
À contre courant ?
Si en ce moment tous les politiciens, de gauche comme de droite, ont les mots de souveraineté nationale, économique, militaire et industrielle à la bouche, pour le PDG d’Airbus, l’échelle d’un seul pays n’est pas la bonne. Pour lui, il faut faire comme avec l’aviation commerciale : Airbus est en effet le fruit d’un regroupement de l’ensemble des constructeurs européens et est aujourd’hui en position de leader mondial.
Mais dans le domaine du spatial ou du militaire, bien qu’il existe des partenariats européens comme Ariane (Airbus et Safran), le secteur est plutôt éclaté : outre Airbus Defence and Space et Thales, on retrouve Eutelsat (France), Hispasat (Espagne), OHB (Allemagne), Leonardo (Italie)… C’est la même chose dans le militaire où plusieurs constructeurs européens (Dassault, Thales, Airbus, Saab…) se partagent avec les poids lourds américains du secteur (Lockheed Martin, Boeing) des budgets militaires certes en augmentation, mais bien faibles en comparaison avec celui des États-Unis.
Un hold-up à grande échelle
Il ne faut pas s’y tromper, le plaidoyer de Guillaume Faury pour une giga-entreprise européenne a un objectif simple : écarter la concurrence américaine et faire main basse sur les budgets des États européens.
C’est dans ce contexte que les annonces des licenciements d’Airbus Defence and Space et Thales prennent le sens d’un bras de fer qu’entament les patrons du spatial avec les gouvernements des pays européens. Donnez-nous vos budgets, ou nous licencierons.
Mais pour Airbus et Thales, il ne suffit pas d’avoir des commandes, mais bien de pouvoir en retirer des bénéfices. C’est ce qui explique le retrait des deux entreprises du projet Space Rise1 car le retour sur investissement aurait été trop faible.
Le Robin des riches
Pour être capable de générer des bénéfices suffisants sur de tels projets pharaoniques, il faut des moyens industriels colossaux2. Moyens fournis aux industriels américains par d’énormes subventions, sans compter l’arrivée des deux premières fortunes mondiales dans le domaine avec SpaceX d’Elon Musk et Blue Origin de Jeff Bezos.
Mais, pour les entreprises européennes, à moins d’attendre que Bernard Arnault passe du luxe au spatial, ce n’est pas le même ordre de grandeur. Évidemment, là encore Guillaume Faury, pense avoir la solution. Après avoir proposé de faire main basse sur l’ensemble du marché européen du spatial, pourquoi ne pas aller fouiller dans les poches de ses habitants : « Le modèle social que nous avons, notamment en France, est en train de devenir de plus en plus difficilement finançable. Si l’on veut en plus financer la transition écologique, avoir des entreprises qui sont performantes et traverser positivement cette transformation, il va falloir changer des paramètres de l’équation. » Faire les poches des pauvres pour permettre aux riches de le devenir encore plus, le tout saupoudré d’un soupçon d’écologie… Tout un programme !
Quentin Pattel
1 Consortium regroupant de nombreuses entreprises européennes pour le lancement d’une constellation de satellites concurrente de Starlink d’Elon Musk
2 Ou s’attaquer aux conditions de travail de ses salariés, ce que fait également Airbus avec son plan de réduction des coûts Lead ! ou avec l’installation de la nouvelle convention collective de la métallurgie (Reload).