Nos vies valent plus que leurs profits

La dette : pourquoi, comment… et pour qui ?

Ceux qui veulent tailler dans les services publics le font au nom de la dette, cet horrible « fardeau » sur les épaules des générations futures. Cette vision est fausse à plus d’un titre.

D’abord, la dette finance des investissements : sans eux, le budget serait même à l’équilibre depuis cinquante ans en France. Hors périodes de crise évidemment, car alors les aides pleuvent sur le patronat et creusent les déficits. Les administrations publiques ne laissent pas qu’une dette à nos enfants, mais aussi des infrastructures utiles, comme des voies ferrées, des écoles, des hôpitaux… et parfois inutiles, comme des sous-marins nucléaires et autres engins de mort. Fin 2022, la somme des actifs possédés par les administrations publiques dépassait le montant de la dette de 864 milliards d’euros.

Les dettes sont d’autant moins lourdes que les États ne les remboursent quasiment jamais (voir le « Petit glossaire »). Ce que tout le monde accepte, du moment que les intérêts sont régulièrement payés. Les cités-États italiennes du xiie siècle avaient même eu l’idée de prélever une partie de la fortune des familles les plus riches en échange d’une rente perpétuelle de 5 %. Ce furent les premières dettes publiques modernes. Cela a beaucoup plu à la bourgeoisie naissante, qui a renouvelé l’expérience. Celle du xixe en était particulièrement friande, à l’image des héros de Balzac et Flaubert. Aujourd’hui encore, les bons du Trésor sont considérés comme un placement à la fois sûr et rentable, malgré la forte baisse des taux ces dernières décennies. Rien que pour cela, la bourgeoisie n’a aucune envie de voir la dette publique disparaître.

Qui plus est, cette rente est obtenue à partir de rien : les banques prêtent essentiellement de l’argent obtenu auprès de la banque centrale ou celui de leurs clients. L’État le dépense ensuite auprès de ses salariés et fournisseurs, qui le déposent dans leurs banques, et celles-ci retrouvent leurs petits de nouveau sur les comptes de leurs clients. Chaque crédit est un petit big bang : du néant sortent à la fois de la monnaie sous forme de dépôt bancaire et des titres de dette, que les banques peuvent monétiser auprès de la banque centrale, ou en les revendant à d’autres institutions financières.

Et si l’État faisait banqueroute et ne pouvait plus verser sa rente ? Les États les plus riches ont appris à épargner à la bourgeoisie de tels désagréments. À peine créée en 1800, la Banque de France rachetait des bons royaux pour couvrir les dettes de l’Empire. Toute libérale et indépendante qu’elle prétend être, la Banque centrale européenne n’a pas fait mieux, lors des crises de 2008 et 2020, en rachetant massivement les titres de dette publique et autres créances douteuses des institutions financières et entreprises pour en assumer les risques à leur place. Les dettes privées se transmutent ainsi en dettes publiques.

Maurice Spirz

Cet article est paru dans un dossier de Révolutionnaires no 23

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