Nos vies valent plus que leurs profits

La mise en concurrence de lots de bus RATP n’est pas la concurrence entre les travailleurs

Dans quelques mois, le secteur des bus de Paris et sa petite couronne sera « ouvert à la concurrence ». Fini le monopole de la RATP. De fin 2025 à 2026, la gestion des dépôts et des salariés sera transférée à des entreprises privées, des groupes comme Transdev (dont la Caisse des dépôts est encore l’actionnaire majoritaire) ou à la RATP elle-même à travers sa filiale Cap Île-de-France. Cette ouverture à la concurrence, préparée depuis 15 ans par le patronat du secteur et les responsables politiques à son service, en France comme en Europe, est une offensive pour rendre les travailleurs plus flexibles encore et répondre aux besoins des patrons. Diviser les réseaux d’exploitation en lots gérés par différentes filiales est un prétexte pour tenter de casser les conditions de travail, abaisser les salaires, s’attaquer aux syndicats en les divisant eux aussi par lots et plus directement pour tenter de contrer les réactions des travailleurs. Parce que, oui, les travailleurs du transport se sont illustrés dans bien des bagarres pour leurs conditions de travail et leurs salaires de façon souvent locale, mais aussi à une échelle plus nationale comme lors des mouvements contre les réformes des retraites.

Le Monopoly des transports

La majorité des réseaux de transport ont déjà été ouverts à la concurrence. Dans de nombreuses villes et régions, le patron du réseau de bus, de tram ou de métro est une des filiales de Keolis, Transdev, RATP Dev ou d’un de leurs concurrents implanté localement. Les collectivités publiques conservent la main, via des autorités organisatrices (comme Île-de-France Mobilités) qui organisent les appels d’offres tous les cinq à sept ans. L’exploitation du réseau est ensuite confiée à l’opérateur privé qui prétend proposer la meilleure offre au meilleur coût, c’est-à-dire celui qui saura le mieux exploiter les travailleurs.

Pour la RATP et la SNCF, le patronat et l’État ont décidé de prendre davantage de temps au vu de la complexité et la taille des réseaux de transport et de la combativité de leurs salariés. Dans ces entreprises, l’ouverture à la concurrence est étalée sur 15 ans. Elle va donc procéder mode de transport par mode de transport et même lots de ligne par lots de ligne pour éviter une réaction d’ensemble des travailleurs. À l’heure où l’urgence écologique devrait amener au développement des transports en commun et à leur gratuité, la logique capitaliste conduit à l’inverse. Découper en lots l’organisation des transports est pourtant une absurdité sur tous les plans.

Les attaques sur les conditions de travail ont déjà commencé !

La direction de la RATP n’a pas attendu 2025 pour mener des attaques contre les conditions de travail pour permettre à ses filiales ou à leurs concurrentes de tirer le plus de profits possibles dans les prochaines années.

L’accord signé en janvier 2023 – à la veille de la mobilisation contre la réforme des retraites – par FO et l’Unsa a augmenté de manière considérable le temps de travail des machinistes : six jours de repos en moins, quarante minutes de travail en plus par jour, des possibilités plus importantes de mettre des services en deux fois avec des journées de 13 voire 14 heures d’amplitude. Pour faire accepter ces reculs, la direction et les syndicats signataires prétendent que les machinistes sont augmentés de 290 euros net mensuels. En réalité, c’est une compensation très en deçà de l’augmentation du temps de travail, et pour une partie de cette compensation, c’est le refléchage d’une prime. Les machinistes embauchés depuis janvier 2023 ont droit aux nouvelles conditions de travail, mais pas à cette pseudo-compensation. En créant une grille de salaire au rabais, elle espère tirer vers le bas l’ensemble des conditions de travail et de salaire pour les années à venir, mais aussi diviser les travailleurs et rendre plus difficile les luttes communes entre anciens et nouveaux. Un premier mouvement avec plusieurs journées de grève des jeunes et moins jeunes embauchés a montré que les travailleurs ne tombaient pas dans le panneau.

Dans la même logique de division et d’attaques, la direction a mis fin au statut de la RATP pour les nouveaux embauchés. Dans la maintenance des bus (MRB), de nombreux postes sont supprimés depuis des années par le non-renouvellement de départs à la retraite. Les mainteneurs sont en moins en moins nombreux pour assurer un même volume d’activité. Et partout, la Régie fait la chasse aux collègues prétendus inaptes dans l’objectif de sa course à la productivité ! Puisqu’en effet, elle espère bien remporter, par le biais de Cap Île-de-France, les futurs appels d’offres.

Valérie Pécresse, présidente de la région IDF, est souvent pointée du doigt comme unique responsable de cette mise en concurrence. Une façon pour les prétendants à sa succession de dire qu’ils feraient mieux. Pourtant, dans bien des villes, comme à Lyon, c’est la mairie dirigée par les Verts qui a mené cette politique d’ouverture à la concurrence en arrivant à la métropole. Freiner ces attaques, gagner des conditions de travail qui répondent à nos aspirations et avoir des transports en commun à la hauteur de nos besoins, cela passera par nos luttes – comme pour toutes les questions – et pas dans les salons et autres parlements.

Et les réactions des travailleurs ne se font pas attendre !

Pas une semaine depuis plus de deux ans ne passe sans que des grèves dans le secteur de l’urbain et l’interurbain n’aient lieu. Mais c’est chaque fois en ordre dispersé que les travailleurs réagissent pourtant sur des revendications communes : augmentation des salaires, réduction du temps de travail, amélioration des conditions de travail. La division en lots et l’étalement de la vente de ces lots pourrait conduire à réagir là aussi chacun son tour. Ce sont pourtant des attaques contre l’ensemble des travailleurs du secteur, et ce qui se passera à la RATP va être regardé par tous la classe ouvrière. Cela pourrait donc être l’occasion pour les travailleurs de la RATP de s’adresser à tous pour que les revendications communes soient portées ensemble par tous. Le calendrier va s’accélérer, alors sans attendre celui des patrons, et des autorités organisatrices, il faut qu’on se retrouve pour organiser la riposte, à commencer par la journée de grève du 12 novembre.

Selma Labib et Marina Kuné