Ce film de fiction, qui a eu le Grand Prix au festival de Cannes 2023, fait beaucoup parler et divise.
En effet, il se déroule à Auschwitz (l’expression « zone d’intérêt » est celle utilisée par les nazis pour parler du périmètre de 40 km² entourant le camp) en 1942-1943, mais nous ne voyons pas l’intérieur du camp ni les déportés. Jonathan Glazer ne les efface pas, comme certains critiques l’ont affirmé, mais ce n’est pas son propos.
Il se place du point de vue des nazis. Plus précisément du point de vue de Rudolf Höss1, directeur du camp, qui a mis en place les conditions industrielles de l’extermination, et de sa petite famille, qui vit dans une coquette villa avec un grand jardin (les photos d’archives de la famille Höss sont saisissantes de ressemblance avec le décor du film !).
Des scènes de leur vie quotidienne nous les montrent, travaillant, jardinant… Le tout avec les fumées, rougeoyantes la nuit, des crématoriums, omniprésentes en arrière-plan. Et surtout avec les bruits du camp (un énorme travail a été fait par le responsable du son).
La mère de Hedwig Höss, de visite dans la famille, ne va d’ailleurs pas supporter, alors même qu’elle se félicitait de la réussite de sa fille « reine d’Auschwitz » selon les mots de celle-ci.
Hedwig a une démarche de plus en plus brusque, comme un pantin désarticulé, une marionnette. Höss, lui, est vêtu de blanc, à la recherche d’une pureté aux antipodes de ce qui occupe ses journées.
Glazer ne voulait pas montrer les nazis comme des monstres mais comme des gens ordinaires, qui refusent de voir ce qui est sous leurs yeux, devant eux, dans l’air qu’ils respirent.
Plusieurs historiens spécialistes de la Shoah ont analysé le film et le jugent réussi, intelligent.
Ainsi, Tal Bruttmann, dans une interview à France Info dit : « Vous voyez des dégénérés de nazis, parce que ce sont des dégénérés, qu’il s’agisse de lui, de sa femme, du fils, qui sont tous fracassés du bulbe. Ça, c’est clair et ça, c’est assez proche de ce qu’étaient les nazis. Mais le film ne prétend pas être une étude du réel, ce n’est pas un documentaire, ce n’est pas une œuvre qui se revendique comme telle, et c’est très bien comme ça. Ce film imagine ce qu’a pu être un bourreau de cette envergure-là, et c’est ce qui est intéressant puisque ça nous fait plonger dans sa psyché, dans celle de sa famille, donc cela amène beaucoup de choses. Et dans la réalisation, le parti pris du hors-champ, cela montre la manière dont eux regardent le réel à travers leur propre prisme. Ce qui se déroule de l’autre côté de la villa ne les intéresse pas. Ces gens de l’autre côté du mur existent, mais ils s’en foutent. Les gens qui sont de l’autre côté du mur sont ceux qu’ils méprisent, ceux qu’ils détestent. Cela nous montre comment des nazis pensent, leur fonctionnement, et je trouve que c’est assez juste. Donc, on touche une certaine réalité, une réalité potentielle, en recourant à la fiction. Un film de fiction dit-il le réel ? La réponse est non. Est-ce qu’il permet de comprendre des choses qui ont trait au réel ? La réponse est oui. Est-ce que c’est un film qui traite bien du sujet ? Concernant La Zone d’intérêt, la réponse est oui. C’est un film qui traite même très bien du sujet. »
Jonathan Glazer veut aussi faire réfléchir sur les aveuglements collectifs qui permettent à des populations de vivre alors que des atrocités sont en cours.
Un film glaçant mais passionnant, qui promet des débats à la sortie, et qui peut ne pas plaire !
Liliane Laffargue
1 Il a inspiré le personnage principal et narrateur du roman de Robert Merle, La mort est mon métier, ayant lui-même écrit des mémoires. Il a été arrêté en 1946, sur dénonciation de sa femme que les alliés menaçaient de déportation en Sibérie avec ses enfants… puis a témoigné au procès de Nuremberg avant d’être jugé en Pologne et exécuté par pendaison en avril 1947 dans le camp d’Auschwitz.