L’Anomalie, d’Hervé Le Tellier
Folio, 402 p., 9,50 €
Ce livre, pour lequel son auteur s’est vu décerner le prix Goncourt 2020, vient d’être réimprimé en livre de poche.
Les premiers chapitres tiennent d’un vrai thriller et mettent en scène des personnages qui n’ont rien en commun, sinon le fait d’avoir voyagé dans le même vol Air France Paris-New York. Un voyage dans lequel l’avion traverse une tempête de grêle hors norme qui laisse aux passagers et aux membres de l’équipage le sentiment d’avoir de peu échappé à la mort. Les chapitres de la première partie se succèdent et décrivent les quelques semaines qui suivent le retour à la vie quotidienne de plusieurs participants à ce vol. Intercalés entre ces chapitres post-atterrissage, et donc à priori situés dans la même temporalité, plusieurs moments intenses de la traversée de la tempête.
Dans les deux autres parties du roman, chaque personnage fait face à une vertigineuse confrontation avec lui-même et les multiples possibles des choix de chacun sont analysés avec finesse.
À chaque instant de notre vie, nous empruntons la voie qui mène à notre futur, réduisant à néant l’univers des autres possibles qui s’offraient à nous. Le roman d’Hervé Le Tellier explore, à sa manière et avec brio, toutes ces facettes de la vie. Il interroge même le thème du « cerveau dans la cuve », ou, si l’on préfère, du malin génie de Descartes : comment rendre objective notre perception du réel.
Hervé Le Tellier, mathématicien de formation, est aujourd’hui président de l’Oulipo – l’Ouvroir de littérature potentielle –, cette société littéraire fondée au sortir de la Seconde Guerre mondiale par le mathématicien François Le Lyonnais et l’écrivain Raymond Queneau – qui faisait lui-même partie de la Société mathématique de France. Les titres des trois parties du roman – Aussi noir que la nuit, La Vie est un songe, dit-on et La Chanson du néant sont des extraits de deux poèmes de Raymond Queneau1. Une des spécialités de l’Oulipo est de fixer à l’écriture des contraintes en quelque sorte mathématiques – Georges Pérec, l’auteur de La Disparition, ouvrage entièrement écrit sans la lettre ‘e’, était membre de l’Oulipo.
Une lecture fascinante, qui vous tiendra en haleine et vous posera mille milliards de questions !
Jean-Jacques Franquier
1 Je crains pas ça tellment et Je n’ai donc pu rêver.