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L’autoroute A69, ou comment faire passer en force un projet écocidaire 

Lorsqu’elle avait lancé la procédure d’appel d’offres pour la construction de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, Élisabeth Borne, ministre de l’Écologie en 2019 et 2020, ne s’attendait sans doute pas à une résistance aussi acharnée de militants qui, eux, se soucient vraiment de l’écologie.

Ce projet, décidé par le géant pharmaceutique Pierre Fabre, est écocidaire et anachronique : il nécessite le déplacement de 6 millions de m3 de terre, le pompage de 120 000 m3 d’eau par an, le bétonnage de 366 hectares de terres agricoles ou naturelles, la disparition de 20 hectares de zones humides classées, l’abattage de 224 platanes avec la disparition de la biodiversité qui va avec… tout ça pour un gain de temps de 15 minutes par rapport à la route nationale existante. Il est beaucoup plus impopulaire qu’on voudrait nous le faire croire : de nombreux organismes indépendants dont l’Autorité environnementale s’y opposent, ainsi que 61 % de la population locale selon un sondage de l’Ifop.

La raison invoquée ? Le désenclavement de Castres, qui selon Carole Delga, « suinte la misère ». C’est bien généreux de se soucier de la misère des Castrais en leur proposant de payer l’aller-retour 17 euros qui iront droit dans les poches de Vinci, alors que les 450 millions d’euros dépensés pour cette autoroute auraient pu être utilisés pour rénover la route nationale, améliorer l’offre de transports publics ou encore favoriser les emplois locaux.

Depuis le début des travaux, c’est un bras de fer acharné entre le camp du bon sens et celui du profit. La CGT Pierre Fabre s’est positionnée en vain contre le projet, les recours déposés par des associations ont été refusés, plusieurs manifestations appelées par les Soulèvements de la Terre rassemblant des milliers de personnes ont été violemment réprimées, les grévistes de la faim ignorés. Des ZAD se sont organisées sur le tracé, et des activistes surnommés « écureuils » se sont installés dans les arbres pour empêcher leur abattage. Harcelés pendant des mois par les forces de police, parfois privés de ravitaillement, ils ont finalement été délogés dans la nuit du 1er septembre avec une violence inouïe. En plus du gaz lacrymogène, la police a eu recours à la grenade GM2L, officiellement classifiée comme arme de guerre, la même qui a failli coûter la vie à un militant à Sainte-Soline. Deux écureuils, tentant de se réfugier dans les branches hautes, ont fait des chutes de sept mètres, un troisième une chute de huit mètres qui lui a fracturé six vertèbres. Tous ont encouru un danger mortel.

Mais la police n’a pas été seule à les mettre en danger. Des individus cagoulés sont venus en pleine nuit dans un jardin qui accueillait l’une des ZAD pour provoquer un incendie et ont aspergé d’essence l’un des habitants. Quant aux vigiles d’Atosca, le concessionnaire chargé des travaux, ils ont écarté des manifestants avec des tirs de mortiers d’artifice, une arme qui peut arracher des doigts et qu’ils ne sont pas autorisés à utiliser, mais ils n’ont pas été inquiétés : d’ailleurs, ils étaient cagoulés et ne portaient aucun signe d’identification. Deux zadistes ont été passés à tabac par des vigiles cagoulés, l’un a eu quatre côtes cassées : mais c’est lui qui est passé en garde-à-vue, la police préférant protéger les vigiles ! Il existe même un groupe Facebook « Pour l’autoroute A69 » dont les membres, pour la plupart d’extrême droite, appellent à « une expédition punitive », à « monter leur propre milice », ou encore à « sortir le calibre 12 ». Apparemment, ils ont bien compris que la police était elle-même suffisamment violente pour fermer les yeux.
Si les travaux n’ont pas pu être empêchés malgré une lutte acharnée, nous avons au moins gagné une certitude pour la suite : les capitalistes sont prêts à toutes les violences pour faire passer leurs intérêts en force, par le biais d’une police de plus en plus armée et conciliante avec des groupuscules fascistes prêts à passer à l’action. Face à l’absurdité d’un système qui fait passer les profits avant l’urgence climatique et méprise l’avis des premiers concernés, les moyens institutionnels ne nous permettent pas d’avoir gain de cause : nous devons nous organiser en tant que classe pour gagner le rapport de force. Si les moyens qui sont aujourd’hui mobilisés pour des projets inutiles étaient sous le contrôle des travailleurs, nous pourrions enfin prendre des décisions en cohérence avec nos besoins et l’urgence climatique.

Correspondante


Photographies : © Antoine Berlioz – Hans Lucas