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Le chien qui a vu le lion. D’Abidjan à Caen : journal de Mamadou, migrant, de Mamadou Samake et Marie-Odile Laîné

Le chien qui a vu le lion. D’Abidjan à Caen : journal de Mamadou, migrant, de Mamadou Samake et Marie-Odile Laîné

LSAA-éditions, Bayeux, 2023, 109 p., 8 €

« Le chien qui a vu le lion et celui qui ne l’a pas vu n’ont pas la même manière de courir », dit un proverbe ivoirien. Mamadou Samake, lui, a « vu le lion », et pas qu’une fois. Car, du Mali à la Libye en passant par l’Algérie, chaque étape de la traversée du Sahel se joue à quitte ou double avec la mort. En Libye, c’est pire encore. Les migrants sont une monnaie d’échange qui passe de mains en mains, comme les esclaves à l’époque de la traite, à ce détail près que les esclaves modernes que sont les migrants affluent en tel nombre que leurs maîtres ne se soucient pas toujours de les nourrir – si l’un d’entre eux meurt, un autre ne tardera pas à prendre sa place au travail. Après un séjour forcé de six mois en Libye, dont le récit vaccinera pour longtemps l’envie du lecteur occidental d’aller y faire une promenade, c’est un autre lion qu’affronte Mamadou : la mer.

La fin de la traversée n’est pas fin de l’odyssée. Une fois parvenu en Europe, Mamadou découvre le sort réservé par les pays européens à ceux des migrants que leurs partenaires libyens ou la mer Méditerranée n’ont pas empêché de parvenir jusqu’à leurs rivages. Les « centres d’accueil » ont les mêmes fonctions qu’une prison : priver de liberté, de contacts avec la population locale comme avec les autres étrangers. On ne peut s’en extraire que pour un travail sous-payé d’automate dans un centre de tri de colis. Mais, à l’inverse d’une prison, on y croupit jusqu’à ce qu’un « jugement » vous en chasse… direction votre point de départ.

Mamadou Samake est parvenu à s’extirper du piège. Un jour d’avril 2022, peut-être attiré par le rôle de Marie-Odile Laîné dans la publication d’un recueil de témoignages d’autres migrants (Rien de ce qui est humain ne m’est étranger, LSAA-éditions, 2019, 7 €1), il vient à sa rencontre. Lui aussi voudrait raconter son histoire. Il a déjà plus qu’entamé le travail. Cela fait trois ans, depuis son arrivée en Italie, qu’il noircit le papier. Des 500 feuillets qu’il présente à Marie-Odile naît un véritable livre. L’écriture est dense, nerveuse, sans mots superflus. Ce qui n’empêche pas l’auteur de distiller çà et là ses réflexions, ou d’insérer dans son récit le témoignage d’autres migrants, notamment dans la traversée du désert.

Un livre à mettre entre toutes les mains, à condition d’avoir l’estomac bien accroché…

Mathieu Parant

1  Le site de la maison d’éditions LaSauceAuxArts, https://lsaa-editions.lasauceauxarts.org, donne accès à des captations vidéo de lectures d’extraits de ce livre.