Les médias mettent quotidiennement à jour le nombre d’actes antisémites recensés en France : près d’un millier depuis le 7 octobre, deux fois plus que durant toute l’année 2022. Alarmant, oui. Et notable, la façon dont, aux côtés du gouvernement, l’extrême droite elle-même tente de surfer sur ce climat délétère pour se faire championne de la lutte contre l’antisémitisme.
Ce vieux courant politique – nationaliste, traditionaliste et raciste – de la bourgeoisie française, dont depuis plus de 150 ans des figures politiques et littéraires1 crient, écrivent ou pensent très fort « Mort aux Juifs » ; dont durant la Seconde Guerre mondiale, derrière le maréchal Pétain et la police de l’État français, des fleurons ont directement collaboré à la rafle des Juifs envoyés vers l’extermination dans les camps et chambres à gaz nazis, se pose maintenant en bouclier protecteur des Juifs en France ! Et des députés RN de se montrer dans les rassemblements pour Israël du 9 octobre dernier, à l’appel du Conseil représentatif des Institutions juives de France (CRIF, censé représenter la communauté juive de France), à la suite de l’attentat du Hamas du 7 octobre. Et de faire le voyage en Israël pour Éric Zemmour, pourtant admirateur de Pétain et son antisémitisme d’État… Avec quelque prudence, néanmoins, car pèsent encore sur les uns et les autres les répercussions du buzz qu’avait créé Jean-Marie Le Pen (certes pas sa fille Marine, mais reste un air de famille politique !), en déclarant que « Les chambres à gaz sont un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. » Et précisé aussi que « Ce n’est pas une vérité éprouvée à laquelle tout le monde doit croire. (…) Je n’en ai jamais vu » !2
Quoi qu’en dise Marine Le Pen et ses députés cravatés, l’extrême droite et la droite françaises ne seront pas blanchies de leur antisémitisme par un coup de javel. Leur prétendu « anti-terrorisme » non plus. Leurs anciens amis de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) qui à la fin de la guerre d’Algérie gangrenait l’armée et la police françaises, avaient tué quelque 2000 personnes, blessé plus du double. Ce n’est pas du passé puisqu’il y a seulement un an, le maire RN de Perpignan, Louis Aliot, bataillait pour qu’une esplanade de la ville porte le nom de Pierre Sergent3, parachutiste ayant guerroyé dans l’armée coloniale en Indochine et en Algérie, puis chef de l’OAS en métropole en 1961… et élu député FN entre 1986 et 1988. Rappelons par ailleurs l’hommage rendu par Macron au maréchal Pétain en 2018.
Pour quelques voix de plus vers la présidence !
Pourquoi cette sinistre farce d’une extrême droite qui serait soudain devenue rempart contre l’antisémitisme et le terrorisme ? Pour des calculs électoraux ! Parce que ça pourrait faire gagner des voix, voire rallier une partie de la droite pour gagner le deuxième tour de la présidentielle de 2017. En 2013, Louis Aliot déclarait tout de go dans une interview : « C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. » Alors l’extrême droite change de logiciel ! Elle laisse tomber l’antisémitisme, fait assaut d’amitié pour Israël et ses dirigeants d’extrême droite, massacreurs de Palestiniens, car elle lui préfère la xénophobie ou le racisme anti-arabe ou anti-musulman… Jugés plus rentables électoralement ! D’où la mise en avant d’un prétendu « choc des civilisations », de prétendues valeurs d’une Europe « judéo-chrétienne ». On croyait pourtant que Jésus avait eu quelques ennuis avec Judas, mais trêve de plaisanterie !
Le racisme anti-arabe a été privilégié par l’extrême droite mais son vieil antisémitisme est trop enraciné dans son histoire politique ! Et le racisme de toute façon ne se partage pas. Malheur à celles et ceux qui auraient la mémoire trop courte !
Michelle Verdier
(Article paru dans Révolutionnaires, numéro 7, novembre 2023)
1 Parmi lesquels pour n’en citer qu’une poignée : Maurice Barrès (1862-1923), Charles Maurras (1868-1952) et tous les anti-dreyfusards pendant les douze ans de l’ « affaire » (de 1894 à 1906) ; les Croix-de-feu et autres royalistes de l’Action française des années 1930 ; Robert Brasillach (1909-1945), jugé et exécuté pour collaboration avec l’Allemagne nazie… tandis qu’un de ses maîtres à penser, Maurice Barrès, avait été élu académicien en 1907 !
2 Jean-Marie Le Pen, « Les chambres à gaz sont un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale », A2, Journal de 13 heures du 15 septembre 1987, sur le site www.ina.fr
3 Chef de l’OAS-métro, responsable de tous les attentats de l’OAS en France métropolitaine, Pierre Sergent avait été condamné à mort par contumace en 1962, à la suite de quoi il s’enfuit avant de bénéficier de l’amnistie générale de juillet 1968. Il a fait partie des organisateurs de la campagne de Giscard d’Estaing en1974, organisant son service d’ordre avec d’ex-militants d’Ordre nouveau, organisation d’extrême droite dissoute l’année précédente.