« Mesdames, messieurs, en raison des fortes chaleurs, notre train circulera à vitesse réduite sur une partie de son parcours, un retard à l’arrivée est à prévoir. » Si vous avez pris le train cet été, voici un message que vous avez probablement entendu que vous risquez d’entendre de plus en plus dans les années à venir. En effet, le transport ferroviaire fait face, lui aussi, aux impacts du dérèglement climatique. Et ce secteur y est d’autant plus vulnérable qu’il est soumis depuis des décennies à une politique forcenée de réduction des coûts et à un sous-investissement chronique. Un comble alors que la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre nécessaire pour conserver une planète habitable est inenvisageable sans un réseau ferré performant. Un trajet en train émet 80 fois moins de CO2 que le même trajet en avion1 et peut diviser par près de dix la pollution liée au transport routier de marchandises.
Infrastructures et matériels en souffrance en raison des fortes chaleurs…
Lorsque le thermomètre s’affole, l’une des premières craintes d’un cheminot est le comportement de la voie. Les rails en acier sont soumis à un phénomène de dilatation thermique. Concrètement, ceux-ci tolèrent une température moyenne comprise entre 20 °C et 30 °C. Lorsque les températures baissent, le rail se rétracte et lorsqu’elles augmentent, il se dilate et s’allonge. Ces variations de quelques millimètres sont prévues et absorbées par des joints de dilatation. Seulement, ces tolérances ne peuvent être comprises dans une plage trop grande. Lorsque la température de l’air ambiant dépasse les 35 °C, la voie risque un « flambement », c’est-à-dire que la dilatation des rails est telle que la voie va commencer à se déformer. Plus la température est élevée, plus la déformation est prononcée et plus la vitesse des trains doit être réduite pour éviter le déraillement.
Autre matériel pouvant se dilater : les caténaires, ces câbles étendus au-dessus des voies qui alimentent les trains en électricité. Le cuivre qui les compose obéit au même phénomène de dilatation thermique que les rails. Lorsqu’il fait trop chaud, la caténaire s’affaisse et risque d’être arrachée par les trains. Il faut alors plusieurs heures pour réparer tandis que les voyageurs restent bloqués dans des voitures privées de climatisation. Cette même climatisation est d’ailleurs plus susceptible de tomber en panne en période de canicule, car l’écart de température entre l’extérieur et l’intérieur des voitures est tel que les blocs de production d’air, sur-sollicités, peinent à maintenir une température acceptable à bord voire se mettent en défaut.
… et de l’exploitation capitaliste du réseau
Néanmoins, les cheminots savent bien que les conséquences du réchauffement climatique sur l’exploitation ferroviaire sont, dans une certaine mesure, maîtrisables. Pour les voies ferrées, des systèmes type slabtrack – où la voie est directement fixée à une dalle de béton plutôt que de reposer sur un lit de ballast – sont une alternative permettant de limiter grandement la dilatation des rails. Pour les caténaires, celles-ci peuvent être retendues par un jeu de contrepoids et de tendeurs. Quant aux systèmes de climatisation, des passages plus réguliers en ateliers disposant de pièces et d’équipes en nombre suffisant permettent de garder une très grande partie du parc dans un état de circulation optimal.
On le voit, des solutions existent. Mais, la SNCF est soumise aux règles de l’exploitation capitaliste, comme l’ensemble du secteur ferroviaire. Les solutions exposées nécessitent des investissements importants, l’embauche et la formation du personnel. Au lieu de tout cela, la SNCF poursuit sa politique de réduction d’effectifs engagée depuis les années 1950.
Dans les ateliers, les agents en sous-effectif sont surchargés de travail et des opérations de maintenance basiques sont sans cesse repoussées. Côté caténaires et voies, les brigades qui réalisent leur inspection et leur entretien fondent comme neige au soleil. Les conséquences s’en font sentir un peu plus chaque année et les défauts d’infrastructures se multiplient.
Ainsi, la végétation est devenue l’une des véritables hantises des conducteurs et conductrices de trains. En effet, les 30 000 kilomètres du réseau ferré français sont souvent bordés d’arbres dont de nombreuses espèces invasives – comme le robinier – massivement plantées aux abords des voies afin de stabiliser les talus. Ces dernières demandent un entretien régulier, rendu impossible par les fermetures incessantes des « brigades voies ». Pour réduire le nombre d’interventions, SNCF Réseau, qui gère les infrastructures, s’est donc tournée vers une stratégie d’opérations d’arrachage total de la végétation tous les deux à trois ans2. L’établissement a d’ailleurs été condamné ce mardi 22 août à 450 000 euros d’amende pour avoir porté atteinte, par des coupes rases, à des oiseaux protégés et à leur habitat. De plus, des talus complètement dévégétalisés perdent en stabilité.
Ces dernières années, plusieurs affaissements ont interrompu les circulations ferroviaires. Heureusement sans gravité, ces événements auraient pourtant pu causer de nombreuses victimes si un train de voyageurs était venu à passer à pleine vitesse sur des milliers de mètres cubes de terre et de gravats effondrés sur sa voie. Bien souvent, ces incidents ont concerné des talus non végétalisés et ont fait suite à de fortes précipitations, qui devraient se multiplier dans les années à venir. Rien que cette année, sur la ligne Lyon-Grenoble, une telle situation a provoqué deux glissements de terrain à moins de dix jours d’intervalle.
Un entretien régulier de la végétation aux abords des voies est nécessaire. En effet, s’ils ne sont pas élagués, les arbres finissent par atteindre la voie, risquant d’endommager les trains voire de masquer la signalisation, mettant en danger la circulation ferroviaire. Les branches peuvent également atteindre la caténaire et prendre feu au passage des locomotives qui créent parfois des arcs électriques et déclencher un incendie qui risque de se propager à la végétation voisine.
Les incendies aux abords des voies peuvent également être déclenchés par les trains eux-mêmes. En effet, le système de freinage présent sur la grande majorité des wagons de marchandises consiste en une semelle en fonte frottant sur la table de roulement de la roue. Simple et efficace, ce système présente cependant un risque : la potentielle projection d’étincelles due au contact de la fonte contre le fer. Un wagon dont le frein ne s’est pas desserré provoque en roulant une projection continue de matière en fusion. En juillet 2022, le frein serré d’un wagon d’un train de fret avait provoqué un incendie ravageant plus de 1600 hectares de végétation au sud d’Avignon. Les blocages de freins sont d’ailleurs caractéristiques d’un parc de matériel roulant trop peu entretenu. Autrefois, leurs conséquences étaient limitées grâce à la présence continue d’agents dans les gares et les postes d’aiguillage qui assuraient une surveillance au passage de chaque convoi. Aujourd’hui, dans les gares qui n’ont pas encore fermé, le nombre d’agents en service est le plus souvent insuffisant pour assurer cette surveillance. Les postes d’aiguillage, eux, ferment les uns après les autres pour être regroupés dans des commandes centralisées, sortes de tours de contrôle gérant les trains sur des zones de plusieurs centaines de kilomètres. Par conséquent, un train peut aujourd’hui parcourir des distances de plus en plus importantes sans passer une seule fois sous les yeux d’un cheminot ou d’une cheminote en mesure d’identifier d’un coup d’œil une anomalie à cette circulation. SNCF Réseau se réfugie derrière des détecteurs implantés dans la voie, capables de mesurer la température des roues. Mais ces détecteurs restent installés à une distance très variable et principalement sur les axes majeurs du réseau, les lignes secondaires n’en étant que très peu, voire pas du tout dotées3.
Aux travailleurs d’imposer leurs solutions !
Ainsi, les entreprises ferroviaires soumises à la logique du profit sont incapables de réaliser les investissements nécessaires pour adapter le réseau et le matériel au changement climatique. Pire, elles n’arrivent à être rentables que grâce à des politiques de réduction des effectifs qui fragilisent les infrastructures et augmentent le risque d’accidents. Heureusement, cette politique ne va pas sans rencontrer de résistance de la part des cheminots. Or, dans les technicentres, sur les postes d’aiguillage ou dans les gares, se battre et gagner des embauches par exemple, c’est déjà un pas en avant vers un matériel et un réseau mieux entretenu, c’est-à-dire plus sûr et plus résilient. Mais, pour obtenir les investissements nécessaires à un secteur ferroviaire adapté aux enjeux sociaux et environnementaux, il faudra imposer un tout autre rapport de force aux établissements et à l’État. Pour cela une mobilisation massive de l’ensemble du secteur, toutes entreprises confondues, est nécessaire. En réalité, nous l’avons vu, les cheminots connaissent les solutions qui permettraient d’adapter leur outil de travail au changement climatique et sont tout à fait capables de les mettre en place. Ils doivent donc prendre conscience qu’ils sont les seuls à pouvoir gérer un secteur ferroviaire capable de répondre aux besoins de la population dans le cadre d’une société écologiquement durable.
Comité SNCF Lyon
1 Base Carbone, Ademe, 2023
2 La maîtrise de la végétation sur les voies et aux abords, Rapport SNCF Réseau, janvier 2023, p. 6
3 Localisation des détecteurs de boîtes chaudes (DBC), situation janvier 2023, SNCF Réseau