Le gouvernement a passé un accord avec les dirigeants de la FNSEA qui ont immédiatement fait lever les blocages. Indemnisation des éleveurs bovins dont les troupeaux ont été frappés par la maladie hémorragique épizootique ; remboursement partiel anticipé des taxes sur le gazole non routier ; gel des mesures restrictives du plan Écophyto sur les pesticides ; diminution des jachères nécessaires pour pouvoir toucher les aides européennes. Enfin, il a fait les gros yeux à la grande distribution en annonçant le renforcement des contrôles sur l’application de la loi Egalim, censée garantir les revenus des producteurs. Reconnaissant en passant qu’il ne faisait pas respecter cette loi jusque-là !
On peut comprendre le soulagement des éleveurs dont les troupeaux ont été atteints par l’épizootie ou la satisfaction de tous pour la baisse du coût des carburants. Mais ce sont les gros qui empocheront le plus, pas les petits agriculteurs à la trésorerie exsangue. Car les mécanismes qui étranglent les petits agriculteurs restent en place et ressortent en fait renforcés.
L’aberration de la mondialisation de l’agriculture
Les agriculteurs se plaignent de la concurrence « déloyale » des produits d’importation dont les prix sont plus bas, entre autres parce qu’ils ne seraient pas astreints aux mêmes règles que celles édictées par l’Union européenne. C’est oublier que les pays de l’Union européenne, la France en particulier, font partie des plus gros exportateurs de produits alimentaires. Les problèmes posés sont sans doute réels, mais il est impossible de les traiter par le biais des barrières douanières.
Les petits agriculteurs sont pris en étau entre les multinationales qui les fournissent et les circuits de distribution. Avec de plus l’obligation de se couvrir de dettes auprès des banques. Poussés à pratiquer une agriculture intensive, ils courent après les rendements et rejettent tout ce qui les ralentit. D’où les campagnes menées par les dirigeants des organisations agricoles contre les « écolos » et les « normes européennes » qui les « empêcheraient de travailler » en s’opposant à l’usage des pesticides, aux mégabassines, etc.
Mais l’agriculture intensive détruit les sols et appauvrit les produits alimentaires. De même que la mondialisation dans l’agriculture est un piège pour les paysans des pays pauvres, contraints, pour monétiser leur production, d’abandonner les cultures vivrières pour la monoculture d’exportation.
La mobilisation des agriculteurs a rencontré une large sympathie parmi les travailleurs. Cela pourrait être demain la base d’une union des agriculteurs et des consommateurs, les premiers étant payés une misère pour des produits que les seconds payent fort cher. De même, les agriculteurs auraient tout à gagner à se rapprocher des travailleurs des entreprises œuvrant en amont, ne serait-ce que pour connaître les dangers des produits et leur prix de revient réel.
Une telle union désignerait clairement que les adversaires sont tous ceux qui sont aux commandes du système capitaliste et ferait voler en éclats l’alliance piège des petits agriculteurs avec les représentants des gros qui dirigent leurs organisations.
Louis Dracon et Jean-Jacques Franquier
(Article paru dans Révolutionnaires numéro 10, février 2024)