Après un été rythmé par les fermetures de services d’urgence, par des décès de patients liés à l’attente interminable avant d’être pris en charge, le gouvernement démissionnaire a annoncé la fermeture de plus de 1 000 postes d’internes en médecine pour la rentrée. Le ministre de la Santé démissionnaire, Frédéric Valletoux, a nié fermement la responsabilité du gouvernement.
En effet, si ces fermetures de postes ne sont pas un choix délibéré de la part de l’ex-gouvernement Macron, elles sont la conséquence désastreuse de la « réforme du deuxième cycle » (ou R2C), mise en place par ce même gouvernement en 2023, qui a réduit considérablement le temps de formation théorique et de préparation pour l’épreuve écrite du concours d’internat. Cela a eu pour effet, entre autres, de dissuader une partie des étudiants de passer cette épreuve, les incitant à redoubler une année d’études. De plus, cette épreuve est devenue « validante », avec un seuil complètement arbitraire, si bien que plus de 1 000 étudiants supplémentaires ont dû passer aux rattrapages, et certains se sont vu obligés de redoubler leur année.
Une réforme aux conséquences désastreuses
Cette réforme avait pour but de renforcer la formation « sur le terrain », de dégager du temps autrefois réservé aux révisions pour faire des stages à l’hôpital. C’est en fait une façon de rendre encore plus disponibles les externes, dont le rôle est (trop) souvent celui d’effectuer des tâches administratives diverses, et d’épauler les internes, eux-mêmes débordés par leur charge de travail. Ainsi, les externes de sixième année, une fois qu’ils ont passé et validé leur épreuve écrite, sont maintenant considérés comme des « internes juniors » : comprendre des internes encore plus au rabais, payés en moyenne 1,80 euro de l’heure, et 4 euros de l’heure en garde !
L’encadrement pédagogique est très aléatoire, selon la situation du service. Aux urgences du CHU de Pellegrin, à Bordeaux, ce sont carrément deux externes qui font tourner quasiment seuls le service des consultations (des urgences à priori relatives, mais pouvant être graves), supervisés de loin par un interne ou un médecin des urgences.
Cette réforme du deuxième cycle fait suite à celle du troisième cycle (de l’internat), qui a rajouté une année supplémentaire d’internat dans la plupart des spécialités. Ainsi, des docteurs titulaires de leur thèse ont le statut de « docteurs juniors », endossant bien souvent les responsabilités d’un docteur, jusqu’à encadrer des internes et des étudiants, mais toujours payés… comme des internes (avec un salaire de base à 1 800 euros par mois et des heures supplémentaires non prises en compte…). En bref, des médecins corvéables et au rabais, pour une année supplémentaire !
Il en va de même pour les étudiantes infirmières, payées encore plus lamentablement que les externes en médecine, et qui sont souvent dégoûtées par leurs conditions de travail avant même la fin de leurs études.
Comment le gouvernement compte-t-il répondre à cette situation désastreuse ? Puisqu’il y a 1 000 internes de moins pour l’année à venir, certains postes ont été tout simplement fermés. Pourtant, la situation est tendue à peu près partout. Une pétition, signée par plus de 50 000 personnes, a tourné cet été pour demander la réouverture de certains postes, dans des spécialités qui sont maintenant inaccessibles pour bien des étudiants ; sans parler de la nouvelle procédure d’admission pour les nouveaux internes, qui s’est avérée défaillante et complètement imprévisible. Si une pétition est bien insuffisante pour modifier la situation, elle révèle à quel point la gestion de cette première année de réforme du second cycle et de ses conséquences désastreuses est insensée jusqu’au bout, lésant à la fois les services hospitaliers et les étudiants.
Les internes, un rôle indispensable et de plus en plus difficile
Quelles seront les conséquences de cette pénurie cette année pour les nouvelles promotions d’internes ? Plus d’heures, plus de week-ends d’astreinte, plus de gardes ? Mais comment serait-ce possible, quand le rythme de travail de la plupart des internes est déjà très intense – voire quasi insoutenable ?
Les hôpitaux reposent en grande partie sur les internes, à la fois étudiants et travailleurs, qui font tourner les services et représentent 40 % des effectifs médicaux hospitaliers, souvent pour plus de 55 heures par semaine.
Si le salaire s’est amélioré avec la revalorisation des gardes depuis deux ans (passé de 10 à 15 euros brut de l’heure), le salaire de base d’un interne reste inférieur à 1 900 euros net par mois. Mais, avec des semaines de 48 heures minimum et de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées, le taux horaire est bien souvent au niveau du Smic, voire en dessous ! Pour faire tourner les services d’hospitalisation ou les services d’urgence, les internes se retrouvent bien souvent à enchaîner les gardes (parfois plusieurs dans la même semaine) et les week-ends d’astreinte, pendant lesquels un interne peut gérer presque seul une vingtaine de patients ou plus, avec (heureusement !) ses collègues infirmières et aides-soignantes, elles aussi régulièrement en sous-effectif.
Il existe même encore quelques spécialités où les repos de garde ne sont pas acquis ! Ainsi, en chirurgie pédiatrique, où les postes d’internes sont insuffisants, ces derniers n’ont souvent pas de jour de repos après leurs gardes de nuit, enchaînant ainsi 36 heures de travail…
Multifonctions, les internes assurent la prise en charge des patients au quotidien, mais aussi des tâches administratives et de secrétariat qui occupent la majorité de leur temps de travail (presque 70 % dans des services d’hospitalisation, notamment en CHU). Ce glissement de tâche est consécutif aux suppressions massives de postes de secrétaires et d’agents administratifs qui se répercutent sur tous les soignants.
Le délabrement de l’hôpital public s’aggrave
Et si cette réduction brutale des effectifs médicaux attire l’attention, il faut rappeler que, depuis les années 1970, ce sont tous les travailleurs et travailleuses de l’hôpital qui subissent les cures d’austérité successives. Le sous-effectif généralisé est la norme à l’hôpital public. Dans les hôpitaux parisiens, environ 1 400 postes d’infirmières seraient vacants. Tous les travailleurs de la santé sont concernés – rééducateurs, assistantes sociales, secrétaires et personnel administratif, techniciens et ouvriers, tous subissent les départs non remplacés, le sous-effectif organisé et donc la dégradation des conditions de travail : augmentation des cadences, turn-over incessant, diminution de la « durée moyenne de séjour » pour rendre l’hôpital rentable. Quand la norme européenne est de 6 à 8 patients par binôme infirmier–aide-soignant, en France elle est souvent de 12, voire 15. En conséquence, le temps consacré au patient diminue et la maltraitance devient organisée et systémique. Le tout pour des salaires dérisoires et des horaires pénibles, avec des nuits et des week-ends.
Mais tant que les services tournent, les directions organisent la gestion à flux tendu, avec un recours massif à la suppléance, l’intérim, la sous-traitance et aux « faisant fonction d’interne », les FFI, médecins étrangers sous-payés et surexploités.
Cette nouvelle réduction des effectifs va conduire à une dégradation supplémentaire des conditions de travail de tous à l’hôpital et une dégradation des soins aux patients. Ce sont les conséquences de cinquante ans de politique d’austérité et de sous-effectif organisé.
Ce qu’il faut, ce sont des embauches massives dans tous les secteurs de la santé : médecins et soignants, mais aussi secrétaires, logisticiens, brancardiers, coordinateurs, informaticiens, ouvriers, agents de service hospitalier, tous ces travailleurs et toutes ces travailleuses nécessaires pour faire tourner l’hôpital, et l’augmentation de tous les salaires avec un salaire minimum de 2 000 euros net par mois.
Contre ces conditions de travail insupportables, contre leurs réformes, leur austérité organisée, il faudra bien que les internes aussi relèvent la tête, avec leurs collègues soignants et travailleurs de l’hôpital !
Aline Rouvroy