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Les difficiles questions internationales et l’intervention des révolutionnaires

Une cartographie des positionnements

Sans que cela résume les positions, il est possible, par souci de clarté, de dresser quelques sous-ensembles de cet archipel révolutionnaire. Le premier rassemble des contributions de courants communistes libertaires (Alternativa Libertaria d’Italie, la Fédération anarcho-communiste de Bulgarie et le groupe de Belgrade). Le deuxième, issu de la tradition bordiguiste (Révolution communiste d’Italie) et de la gauche communiste (Lotta Comunista d’Italie, Nouveau Prométhée de Russie, Diethnismos de Grèce), deux isolats issus l’un des courants capitalistes d’État Workers’ Liberty (WL) de Grande-Bretagne, l’autre du courant pro-albanais (marxiste-léniniste) Bir-Kar de Turquie militant aussi en Allemagne, France et Suède. Enfin le troisième ensemble est celui de trente organisations trotskistes. Parmi ces dernières, deux courants se distinguent par leur poids (avec dans certains cas et à des moments limités une certaine influence nationale) et leur implantation internationale : la Ligue internationale socialiste et le Comité pour une internationale ouvrière (CIO). Certains groupes sont des composantes du Comité international de la Quatrième Internationale (ex-Secrétariat unifié) dans la majorité comme Sinistra Anticapitalista d’Italie ou dans la minorité regroupée dans la Tendance pour une Internationale révolutionnaire (TIR).

Éléments de la discussion

La première discussion sur les questions internationales a duré deux jours avec une série de présentations de quinze minutes et le jour suivant des réponses, des amorces de discussions. La première rencontre de Milan (2023) avait dégagé la question ukrainienne, la deuxième (2024) le problème palestinien, la troisième à Paris cette année a vu se superposer quatre discussions, à savoir par ordre croissant d’espace dans les échanges : la signification de l’émergence de la Chine, la question de l’avancée et de la généralisation des guerres, le déclin ou non de l’impérialisme américain avec la présidence Trump 2, et la dynamique des questions nationales. Les camarades de Lotta Comunista, avec leur grille d’impérialisme unitaire et d’impérialisme européen qu’ils sont seuls à défendre, leur analyse de la nature impérialiste de la Russie et la Chine1, mais surtout leur lecture unilatérale du cycle révolutionnaire des luttes de libération nationale, ont suscité des discussions en réaction de certains secteurs trotskistes.

Sur la première partie des échanges, sur les formes du capitalisme et des classes, Rivoluzione Comunista a développé les traits de militarisation des régimes démocratiques occidentaux et des tâches urgentes du prolétariat à l’égard des migrants (avec des éléments communs à tous les groupes d’Italie sur le déclin démographique européen). D’autres interventions en écho ont développé les thèmes de la domination technologique (LCR, Japon), de la transformation de la force de travail et de son organisation (Contra Corrente, Italie), préférant centrer les arguments sur les transformations de la classe ouvrière plutôt que sur l’aspect « montée des rivalités » (qu’ils reconnaissaient). De même Internationalist Standpoint a souligné, comme les précédents, les implications de l’intelligence artificielle sur le coût de la force de travail et ses transformations. Cela a produit des échanges indirects permettant de nuancer l’idée d’une expansion uniforme du prolétariat, idée partagée par la majorité des participants. Néanmoins l’essentiel des échanges a porté sur les quatre points relevés plus haut.

La Chine a occupé une part importante des discussions, assez peu sur les mécanismes de son ascension, bien davantage sur la rivalité croissante avec l’impérialisme dominant de Washington. La définition d’une puissante ascendante avec des traits impérialistes ou celle d’un impérialisme en formation bornaient les débats. En regard des analyses sur la Russie, cela a permis de dégager plusieurs problèmes ouverts sur la reconfiguration de l’impérialisme : la portée de la militarisation des sociétés, le contenu de l’antimilitarisme, et mis au second plan les notions de crise, et les lectures mécanistes trop marquées par les éléments de théorie économique, qui sont certes déterminants. Ces tensions inter-impérialistes croissantes ont mis en avant les risques de généralisation des guerres régionales. En premier lieu, le conflit larvé entre l’Inde et le Pakistan, avec l’insertion de la question nationale du Cachemire, la domination des chasseurs chinois livrés au Pakistan sur des Rafale français utilisés par l’Inde a suscité quelques développements et des mentions de presque toutes les interventions. Ces échanges ont exposé différentes lectures du défaitisme révolutionnaire, d’attitudes pour combattre le nationalisme et faire émerger une ligne d’indépendance de classe.

Toutefois c’est la portée de la nouvelle présidence Trump qui a occupé une large part des contributions. Ce sont essentiellement les organisations trotskistes qui ont développé cette question. Avec trois lignes directrices : celle de la montée de l’extrême droite, mais aussi celle de la fuite en avant d’un impérialisme déclinant et du raidissement autoritaires des États. D’où plusieurs approches sur la force de la démocratie bourgeoise, les possibilités de partis ouvriers dans le contexte d’un réformisme déclinant Avec des mises en miroir avec les expériences de Milei en Argentine ou Meloni en Italie, qui ont soulevé des échanges sur la réalité ou non d’une internationale réactionnaire.

Enfin, une part importante des discussions a porté sur le caractère révolutionnaire ou non des luttes de libération nationale, condensée dans la question palestinienne, mais abordée sous plusieurs aspects et cas concrets différents (Kurdistan, État espagnol, et luttes anti-impérialistes).

La deuxième discussion : l’intervention politique des révolutionnaires dans les syndicats et les entreprises a occupé la dernière journée. Cette innovation par rapport aux deux précédentes rencontres a permis d’ancrer davantage les échanges aux réalités militantes. Les exposés ont été très riches en expériences et en diversité. Les cas de dictatures (Iran, Biélorussie), de guerre (Ukraine et Russie) ont été présentés avec le travail clandestin et les difficultés de mise en relation des revendications démocratiques et sociales. La répression de régimes autoritaires comme la Turquie, d’extrême droite comme l’Argentine, ont permis à des délégations de décrire les tâches de mise en place de courants « lutte de classe » en dehors ou dans des syndicats intégrés. Les exemples de Grande-Bretagne et États-Unis, ont dégagé des expériences de coalitions socialistes dans des confédérations, et exposé les problèmes tactiques de reconnaissance syndicale, de lutte contre le corporatisme des contrats syndicat-patronat, et, dans les deux cas, d’un retour de politisation et d’action dans les entreprises. La description de grèves nationales comme en Grèce a présenté le potentiel de luttes des travailleurs et le carcan des directions bureaucratiques.

Quelques éléments de regroupement

Sur un autre plan, si la période de fragmentation dont nous sommes issus n’est pas close, des éléments importants de regroupement, de discussions entre organisations se font jour, auxquels nous contribuons avec d’autres.

Le premier fait à noter est celui du regroupement, autour de la LIS, de l’Opposition trotskiste internationale (OTI) représentée à la conférence par le Parti communiste des travailleurs (PCL) et de la Ligue pour la 5e Internationale (L5I) représentée en Europe par le Groupe pouvoir ouvrier (GAM d’Allemagne). L’OTI a intégré la LIS le week-end des 24 et 25 mai, la L5I envisage ce processus de fusion d’ici décembre 2025. C’est un processus positif mais non exempt de problèmes de plusieurs natures, dont à nos yeux de trois ordres : 1) les effets d’échelle entre des organisations nationales avec une certaine présence dans la classe ouvrière et la jeunesse, et des groupes de propagande et d’intervention aux forces limitées ; 2) la difficulté à créer une nouvelle tradition organisationnelle à partir de courants bien distincts issus de la crise du trotskisme ; et enfin 3) des divergences politiques importantes qui n’ont pas été exprimées lors de la conférence2.

Cette expérience de regroupement présente des similitudes fortes avec la nôtre, et des différences révélées lors de nos échanges aux marges de la conférence, par exemple sur la question de l’entrisme dans Die Linke en Allemagne. Mais il y a l’effet d’échelle qui représente un intérêt majeur avec deux organisations d’importance le MST d’Argentine avec son expérience dans la coalition électorale trotskiste du FIT-U et son intervention dans la lutte des classes et La Lutte au Pakistan dans le sous-continent indien (mais aussi en Afghanistan), organisation avec une influence significative dans les luttes syndicales, d’organisation des femmes dans des conditions difficiles.

Ensuite la présence du CIO confirme l’intérêt des rencontres. Cette organisation internationale sort d’une crise majeure – deux autres organisations (Point de vue internationaliste et Réseau international des travailleurs), présentes à la conférence, en sont d’ailleurs issues – à laquelle il faut ajouter la perte de leur dirigeant historique Peter Taaffe3. Leur retour indique, après leur absence à Milan en 2024 – de même que leurs rencontres avec le PO d’Argentine –, une volonté de trouver des vis-à-vis, et les échanges que le NPA-Révolutionnaires a eus avec eux semblent prometteurs. Leur travail en Angleterre mais aussi au Nigeria mérite un intérêt particulier. Ce courant organise une intervention politique et syndicale dans plusieurs pays et regroupe quelques milliers de militants à l’échelle internationale.

 

 

1  Analyses dont les résultats (Chine et Russie impérialistes) et non les arguments sont partagés par l’ensemble des organisations participantes à l’exception de la LCI spartaciste.

2  On peut se faire une idée à la lecture de notre entretien dans Révolutionnaires 33 et sur le site de la Lutte du Pakistan et les élaborations de la L5i sur son site de leur groupe pakistanais sur la question du Cachemire. On peut y ajouter la question du Front unique anti-impérialiste, l’Assemblée constituante, les tactiques électorales, les formules autour du gouvernement ouvrier, la lecture des revendications transitoires.

3  https://www.gaucherevolutionnaire.fr/peter-taaffe-theoricien-trotskyste-international-et-combattant-pour-le-socialisme/

 

 


 

 

L’internationalisme concret : rencontres de forces internationalistes à Paris les 16, 17, 18 mai 2025

Sommaire du dossier paru dans Révolutionnaires n° 35