Entre 1962 et 1984, un peu plus de 2 000 mineurs de tous âges ont été envoyés de La Réunion en France métropolitaine dans des départements ruraux en proie à la désertification (majoritairement dans la Creuse, mais aussi dans le Tarn, en Lozère ou dans le Gers).
Ces enfants relevaient de l’aide sociale à l’enfance : une minorité d’entre eux étaient orphelins, la grande majorité venaient de familles pauvres à qui on a fait miroiter de grandes études en France. Il n’en a rien été ! Après le passage par des foyers ou institutions religieuses, ils étaient confiés à l’adoption, souvent à des familles d’agriculteurs pour lesquels ils sont devenus une main-d’œuvre non payée bien utile. L’historien Ivan Jablonka1, parle d’une « mise en esclavage ». De nombreux cas de maltraitance ont été rapportés.
Cette vaste opération aux relents colonialistes (rappelons que le vol d’enfants à des familles locales a été le fait de toutes les nations coloniales, pour des prétextes d’évangélisation notamment) a été organisée par l’administration française, sous la houlette de Michel Debré, l’auteur de la Constitution de la Ve République, Premier ministre et député de La Réunion. Selon des témoins, il aurait refusé d’entendre les avertissements sur les traumatismes infligés à ces enfants arrachés à leur famille.
Il s’agissait pour les responsables français de répondre à la situation de forte croissance démographique à La Réunion combinée à une pauvreté certaine tout en traitant la question de l’exode rural qui vidait les campagnes françaises.
L’affaire a commencé à être dénoncée par le Parti communiste réunionnais en 1988, mais c’est seulement dans les années 2000 qu’elle a été médiatisée. En 2014, la responsabilité morale de l’État français a été reconnue par le Parlement… mais il n’est toujours pas question de réparation financière ! Les concernés voulant y retourner ont eu droit à un billet d’avion, trois jours d’hébergement sur place et une aide psychologique. Quelle générosité !
Liliane Laffargue
1 Son livre-enquête est paru en septembre 2007 aux éditions du Seuil : Enfants en exil – Transfert de pupilles réunionnais en métropole (1963-1982). Ivan Jablonka était également invité à l’émission Affaires sensibles, du 30 août 2018, intitulée : « Les Réunionnais de la Creuse, le grand préfet et les déracinés », disponible en postcast sur le site de Radio France.
