Il y a 153 ans, le 18 mars 1871, débutait la Commune de Paris, un événement majeur de l’histoire révolutionnaire et ouvrière. Pendant 72 jours, les communardes et les communards tentèrent d’instaurer une société fondée sur l’égalité, la justice sociale et la démocratie directe. Durant son court règne, la Commune mit en place des politiques révolutionnaires, ouvrant notamment une brèche sur la question de l’émancipation des femmes, qui en firent un événement fondateur du mouvement ouvrier international. Karl Marx vit d’ailleurs dans la Commune « la première dictature du prolétariat ». Mais cette expérience révolutionnaire fut écrasée dans le sang. Du 21 au 28 mai 1871, la semaine sanglante marqua la fin de la Commune : l’armée versaillaise massacra plus de 20 000 communards, fusillés dans les rues ou envoyés au bagne.
Un siècle et demi plus tard, la mémoire de la Commune demeure un symbole des luttes sociales et révolutionnaires. Parmi les communards, les femmes jouèrent un rôle fondamental, souvent occulté. À travers leurs combats, elles participèrent à l’élan révolutionnaire, revendiquèrent leurs droits et s’engagèrent sur les barricades. Leur engagement constitue une page essentielle de l’histoire du mouvement ouvrier et de l’émancipation des femmes. Pourtant, leur rôle a longtemps été minimisé ou réduit à quelques figures emblématiques comme Louise Michel et Élisabeth Dmitrieff.
Une participation féminine massive et organisée
La Commune est l’aboutissement des tensions accumulées sous le Second Empire et de la guerre franco-prussienne de 1870. Lorsque Thiers envoya ses soldats durant la nuit du 17 au 18 mars 1871 pour désarmer Paris en s’emparant des canons de la garde nationale, les femmes furent les premières à apostropher les soldats, entraînant avec elles la population qui se souleva, chassa les troupes gouvernementales et proclama la Commune !
Les femmes ne sont pas restées par la suite spectatrices des événements. Elles participèrent activement à toutes les dimensions de la Commune. Elles participèrent à de nombreux clubs politiques, dans lesquels la parole était libre, et en créèrent elles-mêmes. Elles fondèrent leurs propres organisations, investirent les débats et s’engagèrent totalement dans la lutte sociale et militaire.
Les clubs féminins devinrent des espaces d’émancipation et de politisation. Dans ces lieux de réunion, les femmes débattaient des enjeux révolutionnaires, de l’éducation, du droit au travail et de l’égalité. Sous l’impulsion de militantes socialistes, des comités de femmes furent créés dans chaque arrondissement, envoyant des déléguées à un comité central, parmi lesquelles Élisabeth Dmitrieff et Nathalie Lemel. Paule Minck, oratrice et militante, est également l’une des figures marquantes de la Commune. Connue pour son éloquence et son engagement, elle militait pour un féminisme socialiste, liant la question des femmes à celle des travailleurs, à la grande cause des opprimés. Ces militantes défendaient pour l’émancipation des femmes la nécessité d’une révolution sociale globale, tout en reconnaissant la spécificité de l’oppression faite aux femmes, rejetant l’idée d’une lutte séparée entre hommes et femmes.
L’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés
L’une des structures les plus importantes créées par les femmes pendant la Commune est l’Union des femmes, fondée le 11 avril 1871 par Élisabeth Dmitrieff, militante russe alors âgée de 20 ans, membre de l’AIT (Association internationale des travailleurs, ou Première Internationale) proche de Karl Marx et sa principale correspondante pendant la Commune, et Nathalie Lemel, une ouvrière bretonne relieuse de 44 ans, connue pour avoir mené des grèves en 1864-65.
Cette organisation dépassait le simple cadre de l’aide aux blessés. L’Union était une véritable organisation révolutionnaire féminine cherchant à transformer les conditions de travail des femmes et à intégrer pleinement celles-ci à la lutte sociale.
Dans le quotidien La Sociale, dont est rédactrice André Léo, journaliste et membre de l’AIT, de la section des Batignolles, on peut lire : « Une organisation sérieuse parmi les citoyennes de Paris résolues à soutenir et à défendre la cause du peuple, la Révolution et la Commune vient d’être fondée afin de venir en aide au travail des commissions du gouvernement pour le service des ambulances, des fourneaux et des barricades. Des comités sont institués dans chaque arrondissement, en outre un comité central assumant la direction générale de l’organisation. »
Ses objectifs sont clairs : le droit à l’éducation laïque pour tous et l’émancipation économique des femmes, l’égalité salariale entre hommes et femmes, la reconnaissance du travail féminin, la participation des femmes aux décisions politiques et sociales, l’auto-organisation des travailleuses et la création d’ateliers coopératifs, le remplacement des patrons en fuite par des structures autogérées, l’engagement des femmes dans la défense armée de la Commune. Des femmes comme Marie Mercier animèrent des réunions publiques pour mobiliser les ouvrières, notamment autour de l’égalité salariale et de mesures sociales comme les crèches communales.
L’Union publia sur les murs de Paris un manifeste qui proclamait : « La lutte pour la défense de la Commune, c’est la lutte pour le droit des femmes » ou encore : « Les femmes de Paris prouveront à la France et au monde qu’elles aussi sauront, au moment du danger suprême – aux barricades, sur les remparts de Paris – donner leur sang et leur vie pour la défense et le triomphe de la Commune, c’est-à-dire du peuple ! »


Au-delà de l’Union des femmes, plusieurs regroupements ou comités de femmes se créèrent. À titre d’exemple, le Comité des femmes de la rue d’Arras se distingue par l’organisation d’ateliers collectifs. La société Éducation nouvelle mit en place une organisation permettant une instruction laïque pour tous. Des figures comme Victoire Tinayre, institutrice proche des milieux socialistes, promouvaient une éducation émancipatrice.
Pendant 72 jours, sous l’impulsion de ces militantes et de l’Union des femmes, les Parisiennes obtinrent quelques droits significatifs : l’instruction laïque pour les filles, la reconnaissance de l’union libre, la reconnaissance des enfants « illégitimes », permettant aux veuves de gardes nationaux non mariées de bénéficier d’une pension, l’interdiction de la prostitution. De nombreux ateliers furent autogérés par des femmes. Les institutrices obtinrent un salaire égal à leurs collègues masculins.
Les femmes combattantes : une résistance active sur les barricades
Si les clubs politiques et les organisations féminines sont bien documentés, la participation militaire des femmes l’est un peu moins. Pourtant, de nombreux témoignages attestent de leur présence sur le front, combattant aux côtés des hommes.
La barricade de la place Pigalle, tenue par un bataillon féminin dirigé par Nathalie Lemel, est un exemple emblématique de cette résistance. Élisabeth Rétiffe tenait les barricades de la rue Bellechasse, André Léo celles des Batignolles. De nombreuses autres figures illustrent cet engagement : Marie Rogissart, qui organisa des femmes pour arrêter les hommes refusant de défendre la Commune. Marie Lemonnier, ouvrière et ambulancière, qui soigna les blessés avant de prendre les armes sur les barricades. Les sœurs Korvin-Kroukovski, aristocrates russes exilées en France, participèrent activement à la Commune et aux combats. Louise Michel, qui prit les armes et combattit jusqu’à la fin, témoignera plus tard de la brutalité des affrontements et du courage des femmes qui, loin d’être de simples auxiliaires, étaient des combattantes à part entière.
La répression et le mythe des pétroleuses
Après l’écrasement de la Commune lors de la semaine sanglante (21-28 mai 1871), la répression s’abattit indistinctement sur les communards, hommes et femmes. Des centaines de femmes furent arrêtées et jugées, souvent sur la simple base de leur présence sur les barricades. Louise Michel fut arrêtée et déportée en Nouvelle-Calédonie, tout comme Nathalie Lemel. D’autres, comme Élisabeth Dmitrieff, fuirent à l’étranger.
Mais la violence ne se limita pas aux exécutions et aux déportations. Une campagne de propagande orchestrée par le gouvernement versaillais construisit le mythe des « pétroleuses ». C’est alors que Louise Michel fut surnommée la Vierge rouge…. Selon ce tombereau d’injures et de mensonges, les communardes auraient incendié Paris, animées par une rage destructrice et irrationnelle. Cette image de femmes hystériques, brûlant la ville dans un délire meurtrier, servit à justifier la répression. En réalité, les communardes n’avaient pas besoin d’une allumette pour embraser Paris : leur engagement politique suffisait.
Nora Debs
Pour aller plus loin
- Communarde et féministe, 1839-1901 : Les Mouches et les araignées, Le Travail des femmes et autres textes, de Paule Minck
préface notes et commentaires Alain Dalotel. Éditions SyrosCet ouvrage, compilé et annoté par l’historien Alain Dalotel, offre une plongée essentielle dans l’œuvre de Paule Minck, figure méconnue mais majeure du féminisme et du socialisme du XIXe siècle. Structuré autour de textes clés comme Les Mouches et les araignées et Le Travail des femmes, ce recueil révèle une pensée audacieuse qui tente de lier lutte des classes et émancipation des femmes. La préface et les commentaires éclairent son parcours, son rôle actif dans la Commune de Paris et son engagement pour l’émancipation des femmes.
- Souvenirs d’une morte-vivante, de Victorine Brocher
Édition Libertalia, 2017Les mémoires de Victorine Brocher (1839-1921), réédités par Libertalia, ressuscitent le témoignage poignant d’une femme du peuple qui traverse deux révolutions : celle, enfant, de 1848, puis la Commune de 1871 où elle s’engage comme ambulancière dans la garde nationale. Brocher incarne la figure de la communarde, dont le récit brut rappelle que la Commune ne fut pas qu’une affaire d’hommes.
- Communardes ! scénario de Wilfrid Lupano
Édition Vents d’ouest, 3 tomes, 2015-2016Avec Communardes !, Wilfrid Lupano redonne vie aux femmes de la Commune de Paris (1871) dans une trilogie de bandes dessinées inspirée de figures réelles (comme Élisabeth Dmitrieff, fondatrice de l’Union des femmes) ou anonymes. Ce récit graphique raconte l’histoire de celles, ouvrières ou intellectuelles, qui prirent les armes, soignèrent les blessés et organisèrent les soupes populaires.
- Élisabeth Dmitrieff, aristocrate et pétroleuse, de Sylvie Braibant
Éditions BelfondCet ouvrage revient sur une figure méconnue de la Commune de Paris, dans une biographie captivante qui explore le parcours de cette révolutionnaire issue de l’aristocratie russe, membre de l’AIT, qui rejoint Paris en 1871 pour organiser les ouvrières et influencer la Commune où elle fonde l’Union des femmes. L’ouvrage offre une plongée dans l’internationalisme de la Commune.
- La Commune, de Louise Michel
Édition La Découverte, 2015Dans cet ouvrage, Louise Michel (1830-1905), figure majeure de la Commune, nous fait voir la Commune de Paris à travers ses yeux.
- Les « Pétroleuses », d’Édith Thomas
Éditions GallimardÉdith Thomas restaure les femmes de 1871 dans leur combat émancipateur et politique, aux antipodes de cette image d’hystériques du baril à quoi les ont longtemps reléguées les récits réactionnaires et virilistes de la Commune de Paris.
Ressources en ligne
- Blog de Michèle Audin, mathématicienne et écrivaine, qui s’est fait spécialiste de la Commune de Paris : https://macommunedeparis.com
- Le site des Amies et amis de la Commune de Paris (1871). Association créée en 1882 par des communards de retour d’exil. On retrouve sur ce site plusieurs articles sur la Commune de Paris; y compris sur le rôle des femmes : https://www.commune1871.org/
- Le Maitron en ligne, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social, sur lequel on retrouve 17 500 biographies de communards et communardes : https://maitron.fr/spip.php?article233897