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« Les pensées et les prières ne sont pas couvertes, pas plus que les médicaments de mon fils »

 Traduction d’un article du site des camarades de Speak Out Now

La plupart d’entre nous avons eu connaissance de l’assassinat à Manhattan de Brian Thompson, le PDG de la compagnie d’assurance United Healthcare, tôt mercredi matin. Il a été atteint de plusieurs balles alors qu’il se dirigeait vers le lieu de sa réunion. L’attaquant a laissé peu de place au doute sur ses motivations : il a inscrit les mots « refusé », « différé », « destitué » sur les douilles des balles, en référence aux pratiques de l’assurance maladie pour ne pas payer les demandes de remboursement.

Mais, plus que les détails de l’assassinat, le plus intéressant, ce sont les discussions au travail dans les salles de pause, dans les queues des magasins, dans les groupes familiaux, dans les commentaires sur YouTube et autres groupes Facebook. C’est là que ça se passe.

Au-delà de ce que chacun peut penser de l’assassinat de ce PDG, cela traduit clairement une profonde colère sociale, particulièrement contre les entreprises d’assurance maladie qui font tout pour empêcher les gens de recevoir les soins dont ils ont besoin, eux comme leurs proches, tout en amassant des richesses colossales.

À la suite du message sur Facebook d’United Healthcare faisant part de leur douleur face au décès de leur ancien PDG, les gens ont posté plus de 71 000 émoticônes rigolards, à comparer avec les  2 400 qui pleurent. Il y avait tellement de réponses à ce message Facebook que l’administrateur a dû désactiver les nouveaux commentaires.

Qu’un acte de violence envers quelqu’un comme le PDG d’United Healthcare ait été l’occasion de l’expression d’une telle satisfaction, d’une telle joie de la part d’une grande partie de la population a de quoi interroger.

Cela n’a rien de surprenant. Dans les commentaires en ligne sur la fusillade, d’innombrables horreurs ont été racontées par des gens qui se sont vu refuser des soins essentiels. Nous sommes nombreux à avoir des connaissances qui ont vécu l’enfer de se battre pour obtenir les soins dont ils avaient besoin.

On peut lire, par exemple : « Désolé pour le PDG de United Healthcare, mais les pensées et les prières ne sont pas couvertes, pas plus que les médicaments de mon fils. »

Un autre commentaire : « Je n’aime pas me réjouir de la mort d’autrui, pas même de celle de mes ennemis, mais cela ne veut pas dire que je ne peux pas me réjouir qu’il y ait une justice. Et pour ceux qui voudraient contester le mot justice, ce n’est pas la loi qui définit ce qu’elle est. Cet homme dirigeait une entreprise faisant des profits en tuant des gens… Sa mort n’est que justice. »

Un autre encore : « Quand vous tirez sur un homme dans la rue, c’est un meurtre. Lorsque vous tuez des milliers de personnes dans des hôpitaux en les privant de la possibilité de se faire soigner, vous êtes un entrepreneur. » En fait, on estime à 68 000 le nombre de décès annuels aux États-Unis simplement par manque de soins de santé.

Comment se fait-il que, dans cette société, lorsque quelqu’un tire sur un autre et le tue, nous appelons cela « un meurtre », alors que le fait de profiter du refus de soins médicaux vitaux à d’innombrables personnes est considéré comme « normal » ?

C’est tout particulièrement la nature même des entreprises de l’assurance maladie, mais c’est aussi la base de tout le système politico-économique. Il ne serait pas exagéré de dire que quelqu’un comme Brian Thompson, qui gagnait plus de 10 millions de dollars par an, était responsable du meurtre de milliers de personnes et des souffrances inutiles de millions d’autres. C’est un « meurtre social » et ce système le commet contre nous chaque jour.

Une entreprise d’assurance, peut-être plus que toute autre, vit de la mort. Ses bénéfices reposent sur une propension à rejeter les demandes. Les gens sont donc obligés de s’endetter énormément s’ils veulent accéder aux soins. Aux États-Unis, l’endettement médical est l’une des causes les plus importantes de faillite, obligeant les individus et leurs familles à faire des choix impossibles. Nombreux sont ceux qui ont été ruinés à cause de factures de soins médicaux et ont tout perdu, finissant à la rue.

Ces dernières années, les entreprises comme United Healthcare s’appuient de plus en plus sur l’intelligence artificielle comme outil pour refuser les demandes faites auprès de Medicare Advantage, une autre série de programmes qui permettent aux capitalistes de prélever des bénéfices sur le système Medicare1.

L’ensemble du secteur de l’assurance est prédateur, mais United Healthcare s’est montrée particulièrement agressive dans le rejet des demandes par rapport à ses concurrents sur le marché, en particulier ces dernières années.

Cet épisode a mis en lumière la profonde colère face à la cruauté de ce système. Les gens prennent conscience de ce « meurtre social » et en ont assez.

Le problème est que cette colère n’a pas encore trouvé une expression véritablement organisée pour s’attaquer aux causes profondes de ces souffrances. Quand bien même des actes isolés de violence contre des individus puissants et prédateurs comme celui-ci sont en résonance avec une grande partie de la population, ils n’apportent pas de solution en permettant de créer une société où nous recevrions tous les soins dont nous avons besoin. Ce n’est pas l’action d’un homme armé isolé qui pourra jamais réellement régler ses comptes à ce système et à ses cruelles ignominies. Même si cela y ressemble, ce n’est pas une vengeance contre un système qui détruit nos vies chaque jour.

Le système qui dévalorise notre humanité ne disparaîtra pas en quelques coups de feu. Les individus qui se trouvent au sommet d’un système prédateur peuvent être remplacés, et ils le seront. Nous devons nous débarrasser du système qui permet à des gens comme Brian Thompson de profiter de nos souffrances.

Aucun vengeur, aussi courageux que puissent paraître certains d’entre eux, ne peut se substituer à nous, qui sommes la majorité. Seule la puissance collective de millions de travailleurs peut véritablement s’organiser pour lutter pour nos vies et pour ceux dont nous prenons soin. Ce n’est qu’alors que nous pourrons apporter les changements dont nous avons besoin et mettre fin au système qui permet à United Healthcare de prospérer.

 

 
1  Medicare est le système national d’assurance maladie qui couvre l’hospitalisation et les soins médicaux (Medicare A et B). Pour avoir droit au remboursement des médicaments, l’assuré doit souscrire auprès de Medicare un volet D. Mais de nombreux soins ne sont pas couverts (lunettes, soins dentaires, etc.). C’est là qu’intervient le système Medicare Advantage (Medicare C) qui est confié à des assurances privées fournissant des prestations diverses en fonction de l’assurance souscrite. Un peu comme une complémentaire santé ici. Mais il y a une différence de taille : les entreprises prenant en charge Medicare Advantage se voient reverser par Medicare de quoi gérer aussi les parties A et B : ce sont donc elles qui gèrent tous les soins de la personne qui a adhéré. Plus d’informations ici : https://www.medicare.gov/publications/12026-French-Understanding-Medicare-Advantage-Plans.pdf