Ce jeudi 17 octobre plusieurs centaines de salariés se réunissaient devant l’Arena Paris Sud, où se tenait le Mondial de l’automobile, pour dénoncer les licenciements, suppressions de postes et fermetures de sites dont ils sont victimes. Des délégations d’équipementiers sont venues de toute la France : Dumarey, Novares, MA France, Valeo, GMD, Bosch ou encore Walor, Forvia et bien d’autres (plus d’une quarantaine de délégations venues de toute la France). Le rassemblement comptait également de nombreuses délégations de salariés des constructeurs comme Stellantis et Renault – dont certains sites sont également menacés – ou de l’industrie de la chimie, impactés par les attaques contre l’automobile, à l’image de Michelin, ou tout simplement par la rapacité des capitalistes.
Après les dizaines de milliers d’emplois supprimés ces dix dernières années en France dans l’industrie automobile, plusieurs dizaines de milliers sont à nouveau menacés, chez les sous-traitants et les équipementiers, comme chez les donneurs d’ordre. Ironie de l’histoire, c’est ce matin du 17 octobre qu’a choisi le journal Les Échos pour relayer l’annonce de Carlos Tavares, PDG de Stellantis, qu’il se donnait un an pour « trancher le sort de Poissy », dernière usine d’assemblage de PSA en Île-de-France qui compte encore près de 3 000 salariés.
Une hécatombe de l’emploi européenne et pas seulement française comme sont venues en témoigner au rassemblement des délégations de travailleurs de l’automobile de Turquie, d’Espagne, d’Italie, d’Allemagne et de Belgique. Leur message était clair : ne nous laissons pas diviser pays par pays ! Une bonne raison pour ne pas se laisser diviser non plus entreprise par entreprise ou site par site !
Que propose Sophie Binet ?
Du côté de la confédération CGT et de sa Fédération des travailleurs de la métallurgie (FTM), principaux organisateurs du rassemblement, la secrétaire générale Sophie Binet a des projets industriels pour les capitalistes de l’automobile en France, pour garantir leurs marges et leurs profits, celui d’un « petit véhicule électrique économique, intégralement fabriqué en France, qui pourrait être vendu autour de 15 000 euros ». Passons sur le fait que 15 000 euros reste un montant trop élevé pour nombre de salariés qui subissent l’inflation. Mais, n’en déplaise à Sophie Binet ou à la CGT, aucun de ses projets ne garantirait le moindre emploi, seulement l’accompagnement des restructurations.
Pour le patronat, le prétexte avancé est celui de la transition vers le tout électrique d’ici 2035. Voitures inabordables, absence d’infrastructures, prévisions de faibles volumes de ventes. Pourtant les marges sont là, y compris avec des prévisions à la « baisse » : 7,5 % pour Renault en 2024, entre 5,5 % et 7 % pour Stellantis. Comme l’ont fait remarquer certains à la tribune, la « transition écologique » a bon dos et n’explique pas la fermeture de MA France à Aulnay qui fabrique des carrosseries, en tête de la longue liste. Thermique ou électrique, la concurrence internationale des grands groupes, la progression des parts de marché, les gains de productivité suffisent à eux seuls à justifier la saignée. Les baisses des volumes de ventes sont surtout invoquées par les constructeurs pour pousser les États à mettre la main à la poche et augmenter les subventions qu’ils empochent déjà. Si cette concurrence les pousse à s’affronter entre industriels, c’est surtout contre leurs salariés, français, allemands, belges, italiens, turcs ou chinois qu’ils mènent tous une même guerre : réduction des effectifs et augmentation de l’exploitation de ceux qui restent.
La CGT réclame une « loi GM&S », du nom de l’usine de La Souterraine (Creuse) qui, en 2017, s’était vue privée de commandes surtout de Stellantis (et de Renault dans une moindre mesure). Elle viserait à « régir la relation entre sous-traitants et donneurs d’ordre », nous dit la CGT, et faire reconnaître la responsabilité des seconds. Mais Stellantis par exemple reconnaît déjà ses responsabilités puisque le groupe négocie indirectement les conditions inacceptables des licenciements à MA France. En appeler à la vigilance de l’État ? Rappelons, comme le faisait un syndicaliste de Dumarey sur une chaîne parlementaire, que c’est avec la bénédiction de l’État que GM&S a pu vider son usine de la Souterraine (après rachat par le groupe GMD) qui ne compte plus que 80 salariés aujourd’hui contre plus de 500 en 2017. Ces 80 salariés sont aujourd’hui de nouveau menacés, puisque le groupe GMD est lui-même à vendre. Rappelons également que la loi dite « Florange » de 2014 qui oblige les entreprises à rechercher un repreneur, n’a jamais empêché une seule fermeture, ni aucune réduction des effectifs : tout au plus cette loi permet-elle de sous-traiter des licenciements.
Rappelons encore que pour voter une loi il faut une majorité parlementaire. Doit-on attendre une nouvelle dissolution ? En priant pour que les parlementaires deviennent les alliés des ouvriers plus que des industriels et autres « champions nationaux » ? On pourra attendre longtemps. Car pour gagner, même sur les revendications de la CGT, il faudrait une force suffisante pour les imposer. Or les ouvriers des entreprises menacées ont d’autres alliés que les députés et institutions au service de Tavares, Peugeot et compagnie. Ils ont les autres salariés des entreprises menacées partout en France et même en Europe !
Le seul projet pour les travailleurs, c’est de lutter tous ensemble
Heureusement, parmi les salariés présents lors du rassemblement, nombreux sont ceux qui n’attendent rien d’autre que de s’aider eux-mêmes. Les luttes existent déjà à MA France, Valeo, Dumarey ou encore Novares. Comme l’ont dit plusieurs intervenants à la tribune, un rapport de force favorable ne se décrète pas, mais les premières prises de contact en vue de se coordonner ouvriraient bien des possibilités. Ce rassemblement en a été une occasion, pour eux et tous ceux qui comptent sur la lutte : de se rencontrer ou se retrouver et d’échanger les contacts. Une première étape qui pourrait ne pas en rester là : face à l’ampleur des attaques, les équipes militantes des sites menacés auraient tout avantage à se coordonner, renforçant ainsi leurs propres luttes et leur visibilité et pourraient alors s’attirer la sympathie de tous les travailleurs de ce pays en proie aux suppressions de postes, leur donnant confiance dans la capacité à lutter collectivement et surtout à ne jamais rester isolés face à leur patron.
Correspondants, 20 octobre 2024