Éric Coquerel et Charles de Courson, respectivement président et rapporteur de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, ont fini par obtenir, sinon les lettres-plafonds envoyées par Gabriel Attal aux ex-ministres, du moins des documents. Après une course-poursuite dérisoire qui les a vu se faire éconduire par un quelconque sous-fifre de Matignon, ni Barnier ni son chef de cabinet ne se donnant la peine de les recevoir. Et maintenant ? Qu’ont-ils appris qu’on ne savait déjà ? Que les ministres, anciens ou nouveaux, expliquent que « la situation est grave » ? Que, de Macron-Attal à Macron-Barnier, on se fiche de l’Assemblée comme d’une guigne ?
Les anciens ministres, aidés de la Cour des comptes, ont mis en lumière la dette de la France et des déficits budgétaires qui « dérapent ». Cela permettra aux nouveaux ministres de se succéder en ânonnant : « c’est pas ma faute, c’est celle de l’autre ! » « Il y aura des choix forts à assumer », a tout de suite clamé le nouveau gardien des cordons de la bourse, Laurent Saint-Martin. En bon porte-voix des vrais patrons des ministères, ces hauts fonctionnaires qui, eux, ne sont pas touchés par les remaniements ministériels, ou si peu. Comme ceux que Le Monde a nommés la « bande des quatre » – Emmanuel Moulin, Bertrand Dumont et Jérôme Fournel, tous trois proches du quatrième larron, le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler. Fournel, par exemple, est passé de chef de cabinet de Bruno Le Maire à chef de cabinet de Barnier. On prend vraiment les mêmes et on continue !
À en croire les ministres, anciens et nouveaux, il faudrait trouver tout de suite vingt milliards pour amorcer la décrue des déficits budgétaires : quinze sur le budget de l’État, cinq sur celui de la Sécu. Ce qui, pour eux, nécessite de continuer à couper dans un système de santé exsangue, une éducation nationale déjà « dégraissée » jusqu’à l’os… Et Barnier de s’en prendre aux prétendus « fraudeurs », notamment les étrangers sans-papiers, auxquels Retailleau veut supprimer l’aide médicale d’État qui leur permet d’accéder à des soins de base.
C’est que toucher aux multiples exonérations octroyées aux entreprises ne les effleure même pas. Le numéro de septembre 2024 d’Alternatives économiques parle pourtant de… 80 milliards, loin devant les 65 milliards de l’Éducation ou même les 53 milliards du service de la dette. Et on ne parle là que des exonérations, pas des subventions directes, qui donc s’ajoutent !
Quelques exemples. Aujourd’hui, les patrons sont exonérés en tout ou partie de leur part de cotisations sociales pour des salaires allant jusqu’à 1,6 fois le Smic – pour le Smic, l’exonération est totale. Cela a représenté 39,5 milliards en 2023 (contre 30,3 en 2021 et 35,9 en 2022), certainement autour de 45 milliards en 2024 et plus d’une cinquantaine en 2025, l’année du budget en préparation. Or, la loi Veil de 1994 oblige l’État à payer ces montants à la Sécu à la place des patrons exonérés. Vous cherchiez 15 milliards, regardez donc au bon endroit !
Et pour la Sécu ? L’État est donc obligé de compenser la plupart des exonérations qu’il décide. La plupart, mais pas toutes ! Or, ces exonérations ont coûté à la Sécu 18 milliards d’euros de recettes en moins en 2022… En gros, le montant du déficit.
Le bon sens voudrait donc que l’État aille chercher dans ces « niches » de quoi combler les trous… Mais ce serait oublier que les affaires de l’État n’ont rien à voir avec le « bon sens » : l’État est un gigantesque aspirateur à fric qui puise dans les poches des classes populaires ce qu’il déverse dans celles de la bourgeoisie. Les travailleurs ne possèdent peut-être pas grand-chose, mais on leur offre… la dette ! Les lignes que Marx a écrites au milieu du XIXe siècle n’ont pas pris une seule ride : « La seule partie de la soi-disant richesse nationale qui soit effectivement détenue globalement par les peuples modernes est… leur dette publique ».
Jean-Jacques Franquier