Après sept semaines de grève, les trente-trois mille machinistes de Boeing, membres de l’Association internationale des machinistes (AIM), ont voté à 59 % en faveur d’un nouveau contrat de quatre ans le 3 novembre. Pas moins de 41 % des travailleurs ont tenu à marquer leur désaccord et leur volonté de continuer à en découdre avec la direction.
Cet article de l’organisation Speak Out Now revient sur cette conclusion – provisoire ? – du conflit à Boeing.
Des hausses de salaire arrachées par la détermination des grévistes…
Le nouveau contrat prévoit une augmentation des salaires de 38 % d’ici à 2028, soit deux fois plus que ce que l’entreprise proposait au début de la grève. Boeing versera une prime annuelle minimale de 4 % ainsi qu’une prime de signature de 7 %.
Pour obtenir ces augmentations de salaire, les plus importantes du secteur manufacturier en 2024, les machinistes de Boeing ont dû se rebeller contre les pressions exercées par les responsables syndicaux pour qu’ils acceptent des offres inférieures aux normes. Jon Holden, président de l’IAM Lodge 751, qui représente la plupart des machinistes de Boeing, a recommandé d’accepter l’offre initiale de l’entreprise, qui était de 25 % sur quatre ans. Il affirmait alors qu’une grève ne déboucherait pas nécessairement sur un meilleur contrat. Lorsque les travailleurs ont voté en faveur de l’augmentation de 38 %, ils avaient déjà rejeté deux offres provisoires présentées par le syndicat, qui étaient bien en deçà de ce chiffre.
… qui n’a pas suffi à rétablir les pensions de retraites garanties
Outre de fortes augmentations salariales, les travailleurs de Boeing ont également exigé le rétablissement des pensions de retraite garanties, un objectif qu’ils n’ont pas atteint. En 2014, Boeing avait demandé à l’AIM de laisser l’entreprise mettre fin aux montants mensuels négociés et passer à des pensions dont les versements varient en fonction des aléas du marché boursier.
Les responsables de l’IAM ont fait cette concession dans l’espoir que Boeing accepte de ne pas déplacer la production des nouveaux modèles d’avions vers des usines non syndiquées1. Malgré la capitulation de l’IAM sur les retraites, Boeing a transféré toute la production de son dernier avion, le 787, dans son usine non syndiquée de Caroline du Sud en 2021.
La lutte de classe va continuer à Boeing
Le fait que 41 % des grévistes aient voté contre l’offre du 3 novembre après deux mois de grève montre qu’une grande partie des membres reste insatisfaite de la direction de l’AIM. Cette forte minorité est d’autant plus significative que la direction de Boeing menaçait, en cas de rejet de cette dernière proposition, de ne pas faire une offre aussi « généreuse » et d’étendre ses activités non syndiquées.
Alors qu’ils sont confrontés à des pressions accrues sur leur lieu de travail, les travailleurs de Boeing ont démontré qu’une grève peut contraindre à des concessions même une entreprise très obstinée en proie à des difficultés financières. Les travailleurs de l’usine non syndiquée de Charleston, en Caroline du Sud, sont confrontés aux mêmes problèmes que ceux qui ont provoqué la grève à Seattle. Le mécontentement à l’usine de Caroline du Sud a tellement augmenté que le Wall Street Journal rapporte que l’entreprise s’attend à ce qu’elle soit confrontée à une campagne de syndicalisation.
Les antécédents de l’actuelle direction de l’IAM font douter qu’elle soit en mesure de défendre ses membres contre une pression accrue en faveur de la productivité. Les travailleurs de Boeing à Seattle devront compter sur eux-mêmes pour organiser une lutte sérieuse afin d’empêcher la direction de les désigner comme boucs émissaires pour les problèmes de production médiocre qu’elle a causés et qu’elle continue de causer. De même, le succès de la syndicalisation en Caroline du Sud dépendra au bout du compte des efforts de militants de l’usine et pas de l’aide que l’appareil de l’AIM peut offrir. Penser autrement, c’est ignorer les leçons de la grève qui vient de s’achever.
Speak Out Now, 9 novembre 2024
1 Rappel : aux États-Unis, un syndicat n’a d’existence légale dans une entreprise que si les salariés, convoqués à une sorte de référendum, votent à plus de 50 % pour que telle ou telle organisation les représente. Si le vote est positif, le syndicat devient l’organisation représentant les salariés de l’entreprise, qui en sont tous automatiquement membres – les cotisations sont prélevées à la source, comme les impôts chez nous, donc avec l’aide du patron. Si le vote est négatif, l’entreprise reste « non syndiquée ». Il est toujours possible d’adhérer individuellement à un syndicat, mais cela relève alors d’une démarche très militante, dont l’immense majorité des ouvriers ne voient pas l’intérêt.