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Les travailleuses et travailleurs d’Ubisoft en ordre de bataille

Rassemblement devant les locaux d’Ubisoft Montpellier à l’occasion d’une grève en février pendant les dernières NAO, photo partagée par le STJV

Les nouvelles ne sont pas bonnes pour les travailleuses et les travailleurs du jeu vidéo, qui vivent leur troisième « année noire » consécutive. Mais loin de la résignation, les luttes donnent espoir.

Une industrie en crise, les salariés trinquent…

Le monde a pu voir un diorama lui étant consacré à la cérémonie d’ouverture des JO de Paris, dans la section « rayonnement culturel ». Pourtant, Ubisoft, le géant du jeu vidéo français, ne va pas fort en bourse, à l’image de toute l’industrie vidéoludique depuis deux ans. Pour cause, surprise, un appât du gain d’une déraison qui serait risible si elle n’avait pas des conséquences aussi lourdes. Puisque, si les actionnaires se sont réjouis lors du dernier confinement d’une croissance exponentielle – les gens cloîtrés chez eux se tournant massivement vers le divertissement et donc le jeu vidéo – ils se sont surtout habitués à cette tendance, y compris après le confinement. Or, quand on retourne au travail, à l’école, à la fac, qu’on renouvelle ses abonnements de transport, qu’on doit de nouveau manger à la cafet… sans compter l’inflation qui explose, on n’a ni le temps ni l’argent à consacrer aux loisirs qui rythmaient nos vies confinées. Et les bénéfices des géants de l’édition multi-média qui pendant 15 mois ne cessaient de battre des records fondent naturellement, ce qui n’est pas au goût des conseils d’administration.

Mais, alors qu’aux États-Unis les éditeurs satisfont les actionnaires qui veulent voir les chiffres continuellement grimper par des licenciements massifs, se comptant encore une fois par milliers cette année (1900 pour Activision Blizzard, propriété de Microsoft, 1120 pour Sony… des entreprises qui, à en juger par leurs dividendes, se portent pourtant comme des charmes), quelques verrous subsistent et empêchent Ubisoft de leur emboîter le pas. Déjà l’année passée, il a dû se contenter de quelques fermetures et réductions d’effectif à la marge, totalisant tout de même 300 licenciements en un an. L’éditeur a donc dû ruser : sa stratégie, une rupture du travail en distanciel.

Après quatre ans de télé-travail total imposé, d’abord en respect des mesures sanitaires puis maintenu à la poursuite de quelques économies, la direction impose tout aussi brutalement un retour au travail dans les bureaux. Sans doute espère t-elle ainsi que les recrutements récents, embauchés sur la base d’un télé-travail au moins partiel, et les vétérans habitués à ce rythme de vie auquel ils ont bien dû s’accommoder en quatre ans (y compris en déménageant, parfois loin des locaux) engendreront une vague de départ de l’entreprise. Tout bénéf pour les patrons, qui n’auraient dans ce cas même à pas à dédommager les développeurs et artistes qu’ils veulent mettre à la porte !

La réponse des travailleurs, c’est la grève !

Le STJV (le Syndicat des travailleurs du jeu vidéo) appelle en réponse à une grève de trois jours sur tous les sites à partir du 15 octobre, appel maintenu après que des délégués aient été reçus par la direction. Si l’élément déclencheur est l’attaque récente sur le télé-travail, et que les revendications concernent le prix et les conditions de leur travail, l’inquiétude pour l’avenir face à une direction de plus en plus violente et une mémoire entretenue de la violence passée ont en eux-mêmes de quoi mettre les travailleurs et travailleuses en mouvement (comme à l’occasion des dernières NAO où Ubisoft a connu sa grève la plus importante jusqu’ici, mobilisant plus de 700 employés à travers le pays). On se rappelle l’enfer que l’éditeur faisait régner dans ses studios, tant par la politique du « crunch », cette période d’intensification du travail, que par un management particulièrement sexiste et qui a déjà couvert des dizaines d’agressions, ce à quoi le télé-travail, sans être idéal, avait pu apparaître comme une solution temporaire.

S’ajoutent à ces préoccupations des menaces de rachat d’Ubisoft, notamment par l’autre géant du jeu vidéo, Tencent, réputé pour les conditions de travail inhumaines qu’il fait subir à ses équipes et qui s’est illustré en début d’année par quelques centaines de licenciements soudains. Sans évoquer que plane autour de ce potentiel rachat des suspicions de délit d’initié venant d’Ubisoft (selon une information relayée par Libération), dont les millions en jeu ne sauraient être amassés par quelques têtes autrement que sur le dos des travailleurs et des travailleuses.

Des préoccupations partagées par leurs collègues ailleurs en Europe, en Amérique du Nord ou encore en Asie, où Ubisoft est présent, puisque cette entreprise tentaculaire et internationale fait planer au-dessus des équipes réparties sur une vingtaine de pays la même épée de Damoclès.

Inverser le rapport de force face aux patrons : possible et impératif !

« Quand un syndicat arrivera à Ubisoft, je partirai. » déclarait il y a quelques années le PDG de l’entreprise, débecté par l’idée même d’un dialogue avec ses employés. Eh bien, les syndiqués sont là ! Lassés de ne pas être entendus et isolés face au mépris de leur direction, les grévistes déjà déclarés d’Ubisoft comptent sur la motivation qui n’est pas retombée depuis février et invitent tous les soutiens sur leurs piquets pour porter leur voix, pour défendre collectivement les intérêts des travailleuses et travailleurs du jeu vidéo et de l’ensemble du monde du travail, dès mardi prochain !

Ils rejoignent une colère qui commence à monter dans le milieu où le taux de syndicalisation monte en flèche, comme la grève en septembre des travailleurs de Spiders, studio français, en a été le dernier témoin. Une grève majoritaire de deux jours, témoin d’une colère certes, mais surtout des méthodes qui permettent les victoires de notre classe ; eux aussi confrontés à une direction méprisante, violente et muette, il aura suffi d’un appel à la grève pour que les négociations s’ouvrent, et de deux jours de mobilisations et d’arrêt du travail pour que les revendications des salariés de Spiders trouvent satisfaction ! Les mêmes leçons ont été tirées des grèves de cet été aux États-Unis, qui ont obtenu des garanties face aux menaces de licenciements induites par le développement de l’intelligence artificielle.

Dans le milieu du jeu vidéo, où les patrons rapaces ont le champ libre et où ces luttes collectives sont d’inédites expériences d’inversion du rapport de force, comme dans le reste du monde du travail : contre les sinistres plans du patronat, notre force c’est la grève et notre nombre ! Alors préparons les luttes à venir dès aujourd’hui, et organisons-nous largement, conditions à voir ces luttes grandir, et surtout à les faire gagner.

Benjamin Palka