Mercredi 29 mai dernier, une dizaine d’organisations représentant des milliers de scientifiques ont dénoncé dans une lettre ouverte la politique environnementale de l’Union européenne1. En effet, alors que l’année 2024 se prépare à éclater les records de 2023 en matière de dérèglement climatique, l’UE multiplie des reculs sur le terrain du climat.
Qui combat l’environnement en Europe ?
Les organisations scientifiques signataires dénoncent « un état d’esprit anti-environnement qui semble prévaloir chez de trop nombreux responsables européens », responsables de mesures « basées sur de la désinformation » et « fortement influencées par les intérêts particuliers de groupes économiques et d’entreprises qui s’expriment par le biais de méthodes violentes ou non démocratiques ». Nos amis scientifiques ne décriraient-ils pas notre bon vieux capitalisme ?
Ce sont en effet les patrons de l’agroalimentaire, FNSEA en tête, appuyée par la Coordination rurale (qui prétend faire de « l’écologie sans écolos »2) et leurs variants européens qui ont cherché à canaliser les dernières mobilisations des agriculteurs pour mettre fin aux « normes écologiques punitives ». L’extrême droite se fait le relai des préoccupations patronales, appuyant non seulement discours climatosceptiques et actions contre les militants écologistes, mais aussi en diffusant une vision fantasmée et populiste des campagnes3. Derrière les délires sur le « peuple-paysan » du « pays profond », c’est en réalité la logique du profit qui prime, quitte à, par exemple, abandonner les petites tentatives de réglementation sur les pesticides ou à abaisser les standards environnementaux de la politique agricole commune (PAC).
Le mythe de l’Europe « verte »
À côté des États-Unis et de la Chine, l’Union européenne fait mine de jouer à la bonne élève du climat. Le Haut Conseil pour le climat allant même jusqu’à déclarer que « l’Union européenne s’est portée aux avant-postes de l’action climatique depuis plus de 30 ans »4. L’UE aurait même réduit de 32 % ses émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2020, explosant son objectif de 10 % de réduction. Mais ces effets d’annonce ne trompent pas grand-monde : non seulement le rythme des diminutions d’émissions ralentit, mais une part de la pollution est « délocalisée » à l’étranger, impérialisme oblige.
Vente de diesel ou de vieilles automobiles polluantes en Afrique, sous-traitance des déchets à l’autre bout du monde, ou tout simplement production de marchandises manufacturées en Asie… Tous les moyens sont bons pour se soustraire aux maigres règles érigées en Europe sous la pression des mobilisations sociales et ainsi augmenter sa marge de profit. Mais comme le nuage radioactif de Tchernobyl, le dérèglement climatique se fiche des frontières, et les émissions de GES continuent de progresser, avec leur cortège de catastrophes.
Entre 1995 et 2022, l’empreinte carbone française a certes diminué de 7 % (623 mégatonnes (Mt) équivalent CO2 (éqCO2) en 2022) du fait de la diminution des émissions liées à la production « intérieure » (169 Mt éqCO2) ou domestique (106 Mt éqCO2), mais cette baisse est partiellement compensée par l’augmentation d’émissions « importées » (348 Mt éqCO2)5. Les émissions « importées » représentaient en 2022 56 % des émissions françaises de GES contre 51 % en 20166. Une tendance qui confirme un rapport précédent du Haut Conseil pour le climat de 2020 : la France connait « une diminution continue des émissions sur le territoire national et une augmentation continue des émissions importées ». Une tendance portée par les activités des multinationales françaises comme la BNP et Total, des champions de la pollution, à travers le monde.
Sacré bilan pour Macron, qui s’était fait sacrer « Champion de la Terre » par l’ONU en 2018, mais bilan suffisant pour permettre à un patronat toujours plus avide de profits de justifier « qu’on en fait bien assez… surtout par rapport aux autres ».
Le « protectionnisme vert », une arme économique de plus dans l’arsenal impérialiste
En complément des attaques contre les travailleurs qui se camouflent derrière un vernis écolo7, une véritable guerre « verte » se joue entre capitalistes pour la répartition de leurs zones de marchés… et les élections européennes sont le bon moyen d’en prendre le pouls8.
En effet, s’il y a bien un sujet sur lequel tous les candidats français se mettent d’accord sur le terrain écolo, de la France insoumise (« Passer au protectionnisme écologique et social pour garantir notre indépendance ») au Rassemblement national (« Imposer aux importations le respect des normes environnementales et sociales européennes », « Mettre en place une véritable taxe carbone aux frontières européennes ») en passant par Renaissance (« Taxer le carbone des produits importés en Europe »), c’est bien la nécessité de mettre en place un « protectionnisme vert ». Tout le monde se retrouve, particulièrement sur la volonté de renforcer la « taxe carbone »9 aux frontières (encore une !) de l’Europe.
Derrière ces fausses bonnes idées (« produire local » et « ne pas consommer des produits à forte émissions de GES ») se cache en réalité « une stratégie environnementale et industrielle qui permettra d’aller vers une concurrence loyale entre les entreprises européennes et mondiales » (F-X Bellamy, mars 2021, aujourd’hui tête de liste des Républicains aux élections européennes). Pour les entreprises européennes, il s’agit de défendre son pré-carré face aux produits étrangers et d’alimenter ses subventions à la « transition » grâce aux recettes de ces nouvelles barrières douanières « vertes ». De quoi faire gronder les capitalistes chinois pour qui cet élan protectionniste constitue une «“double exploitation” pure et simple »10. Ceux-ci enragent de voir les capitalistes européens profiter de la main-d’œuvre chinoise tout en refusant l’accès de certaines marchandises chinoises au sein des frontières de l’UE. Au jeu de la concurrence impérialiste, les travailleurs n’ont pas de camp à choisir.
Leurs calculs comptables tuent
Pendant que les politiciens et grands bourgeois utilisent le dérèglement climatique et les aspirations à sa résolution comme une variable d’ajustement dans leur volonté de gratter des sièges de parlementaires ou de calculs de zones d’influence économique, la catastrophe environnementale continue de tuer.
Cette semaine, de fortes canicules allant jusqu’à 55 °C ont coûté la vie à des centaines de personnes en Inde et au Mexique, sans que leurs gouvernements respectifs ne se décident à mettre un terme à leur production et consommation d’énergie fossile (pétrole au Mexique, charbon en Inde), une semaine seulement après que des inondations et glissements de terrain entraînent eux aussi la mort de centaines d’Afghans11.
Le capitalisme joue avec nos vies : à l’heure de l’urgence climatique, il y a urgence à la révolution.
Stefan Ino
1 https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/05/31/la-communaute-scientifique-s-insurge-contre-les-reculs-environnementaux-de-l-union-europeenne_6236651_3244.html
2 https://www.coordinationrurale.fr/lactualite/environnement/lecologie-oui-mais-sans-les-ecologistes/
3 https://npa-revolutionnaires.org/demagogie-deni-et-contradictions-la-recette-ecologique-du-rn/
4 https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2024/05/HCC_Rapport_Europe_20240507-1.pdf
5 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lempreinte-carbone-de-la-france-de-1995-2022
6 https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2021/06/HCC_rapport-annuel_0821.pdf
7 On peut notamment penser à Total qui justifie des licenciements sous prétexte de « reconversion écologique » : https://www.convergencesrevolutionnaires.org/A-la-Defense-on-contre-attaque?navthem=1 ou dans le domaine de l’automobile : https://www.convergencesrevolutionnaires.org/Du-Diesel-a-la-voiture-electrique-une-transition-ecologique-sur-le-dos-des
8 https://npa-revolutionnaires.org/crise-ecologique-et-elections-europeennes-silence-ca-tousse/
9 « La “taxe carbone” de l’Union européenne se concrétise. Cet instrument, plus précisément appelé “mécanisme d’ajustement carbone aux frontières” (MACF). La mise en œuvre progressive du mécanisme commence le 1er octobre 2023. Pendant la période de transition prévue par l’exécutif européen – de cette date à fin 2025 – les importateurs devront seulement déclarer les émissions carbone des produits importés. Ils ne commenceront à payer celles-ci qu’à partir de 2026 » : https://www.touteleurope.eu/environnement/changement-climatique-qu-est-ce-que-le-mecanisme-d-ajustement-carbone-aux-frontieres-ou-taxe-carbone-europeenne/
10 http://fr.china-embassy.gov.cn/fra/zfzj/202308/t20230810_11125289.htm
11 https://npa-revolutionnaires.org/lete-2023-le-plus-chaud-des-2000-dernieres-annees-cest-au-capitalisme-quil-faut-mettre-le-feu/