À l’occasion de la Conférence annuelle des ambassadeurs, le président de la République a évoqué plusieurs dossiers internationaux. Il en a profité pour s’en prendre à différents dirigeants africains qui ont demandé aux troupes françaises présentes dans leur pays de plier bagage. Macron a laissé entendre que « la France a eu raison d’intervenir contre le terrorisme en Afrique depuis 2013 » mais a regretté que certains leaders africains « aient oublié de dire merci ».
On croit rêver. La présence militaire française là-bas n’a jamais eu pour but de protéger les populations locales. Les troupes étaient là pour s’assurer que les intérêts de la Françafrique – c’est-à-dire des industriels, des transporteurs, des planteurs, des firmes qui contrôlent le commerce de gros et de détail – étaient protégés.
Alors merci pour quoi ? Pour avoir pillé ces pays sans vergogne depuis des siècles ? Pour avoir instauré le travail forcé et l’esclavage ? Pour avoir saccagé la nature, déforesté, pollué les sols et les cours d’eau ? Le culot de Macron n’a d’égal que sa morgue et son mépris à l’égard des peuples en général et de ceux d’Afrique en particulier.
Le Tchad a dénoncé le 28 novembre dernier l’accord de défense liant les armées française et tchadienne : 120 soldats français ont quitté le pays le 20 décembre, et la base de Faya-Largeau a été rétrocédée à l’armée tchadienne. La totalité des 1 000 soldats et personnel militaire français devrait être retirée d’ici fin janvier.
Ce départ fait suite au retrait contraint et forcé des troupes françaises au Mali, au Burkina Faso et au Niger. La même semaine, le Sénégal demandait aussi le départ des troupes. La Côte d’Ivoire vient d’annoncer le 31 décembre, dans les vœux de son président, un allègement de la présence française. Ce pays reste un allié de poids de l’impérialisme français dans la région, et l’armée française devrait rester présente, mais la base militaire de Port-Bouët devra être rétrocédée à Abidjan fin janvier, avec le départ du régiment d’infanterie qui y séjournait.
Outre les interventions militaires pour appuyer les diverses dictatures qui se sont succédé dans les années 1960-1980, puis le soutien indéfectible depuis 1990 au règne des Déby père et fils, le Tchad a fourni le point de départ des opérations militaires françaises dans les pays voisins, Mali, Burkina Faso, Niger, Centrafrique. Des troupes tchadiennes avaient été enrôlées par la France pour l’opération Sangaris en Centrafrique au milieu des années 2010, ainsi que Serval (2013-2014) au Mali, suivie de Barkhane (2014-2022) dont l’état-major était installé au Tchad.
Mahamat Idriss Déby, qui a succédé à son père en 2021, a déclaré que les accords qui unissaient la France au Tchad étaient « complètement obsolètes ». Une manière de surfer sur la vague de manifestations contre la présence française qui a touché ces dernières années les pays de la région…
Mais cette déconfiture du vieil impérialisme français qui peut réjouir les manifestants n’a pas à susciter la moindre illusion. Il ne s’agit pas d’une remise en cause de la situation de domination dans laquelle le système capitaliste place les anciennes colonies. Tout au plus des re-marchandages du partage des fruits de l’exploitation des travailleurs et des ressources avec les diverses puissances et leurs grandes compagnies : États-Unis (dont, pour le Tchad, Exxon et Chevron contrôlent l’essentiel de l’exploitation pétrolière) mais aussi la Russie et la Chine.
Si Mahamat Déby, adoubé par Macron à la mort de son père, compte sur ce coup d’éclat pour redorer son blason, cela semble plutôt loupé pour l’instant à en juger par la faible participation aux élections législatives du 29 décembre : toute l’opposition avait décidé de la boycotter, dont Wakid Tamma (« l’heure est arrivée ») un collectif regroupant entre autres les syndicalistes de l’UST qui avaient organisé les grèves de 2018-2019 et nombre des manifestations en 2021.
7 janvier 2025, Édouard McBeyne