Le 5 novembre 2018 au matin, deux immeubles s’effondraient aux numéros 63 et 65 de la rue d’Aubagne à Marseille, au cœur du quartier populaire de centre-ville de Noailles, causant la mort de huit personnes.
Six ans plus tard, un procès va s’ouvrir jeudi 7 novembre, très attendu par les familles des victimes. Sont mis en cause l’ancien adjoint du maire de l’époque Jean-Claude Gaudin1, en charge de la prévention des risques, l’expert qui avait inspecté l’immeuble numéro 65 quinze jours avant son effondrement, après des alertes répétées des habitants et une première évacuation, et qui avait considéré qu’il n’y avait pas lieu d’évacuer, mais aussi le bailleur social public Marseille habitat, propriétaire du numéro 63, placé en péril et muré dix ans plus tôt, et le syndic Liautard représentant des propriétaires du numéro 65, parmi lesquels un ancien conseiller régional.
Un échantillon de tous les acteurs impliqués dans le système du mal-logement. « C’était pas la pluie, c’était la Gaudinie / et les experts complaisants, et les syndics défaillants / et les propriétaires, exploiteurs de misère », chantaient les manifestants dimanche 3 novembre, lors de la marche annuelle pour rendre hommage à Cherif, Fabien, Julien, Marie-Emmanuelle, Ouloume, Pape, Simona et Taher, et exprimer une colère toujours présente contre un problème loin d’être résolu, celui de l’habitat indigne, qui est loin de constituer une exception marseillaise.
Le « collectif du 5 novembre » qui s’est constitué à Marseille pour lutter contre le mal-logement rappelle ainsi dans une tribune : « En France […], ce seraient 600 000 logements et 1,3 million de personnes qui seraient directement concernées par l’habitat indigne (l’insécurité, l’insalubrité, l’inconfort…), 4,1 millions qui seraient plus globalement mal-logées ou non-logés, 12 millions vivant en situation de précarité énergétique. »
Après des années d’une politique du logement défaillante et d’inaction politique, dans les semaines et les mois qui avaient suivi les effondrements, quelque 3 200 personnes avaient été délogées de toute urgence de leur logement (6 000 en tout depuis fin 2018), mettant parfois des mois, voire des années, avant de retrouver un logement pérenne. Depuis 2020, la nouvelle municipalité du Printemps marseillais (union de la gauche) dit mettre en œuvre entre 20 et 30 arrêtés de mise en sécurité par mois, qui n’impliquent pas systématiquement l’évacuation totale des logements… mais qui n’impliquent pas non plus systématiquement que les travaux nécessaires soient effectués ! Car pour contraindre les marchands de sommeil et autres propriétaires peu scrupuleux, ou pour rénover les logements sociaux qui le nécessitent, il faudrait des moyens bien supérieurs et une réelle volonté de s’attaquer au problème.
La tâche est grande : à Marseille , la ville qui abrite à la fois le quartier le plus riche et le plus pauvre de France, on estime que l’habitat indigne ou dangereux concerne aujourd’hui 40 000 logements (soit 10 % du parc immobilier) et pas moins de 100 000 personnes (un Marseillais sur huit) !
À Marseille comme ailleurs, le mal-logement des uns n’exclut pas qu’il existe des milliers de logements vacants.
Même sans compter les résidences secondaires ou les locations de courte durée qui explosent ces dernières années, une étude commandée par la mairie indiquait en 2021 que la ville comptait 19 400 logements vacants depuis plus de deux ans (dont 5 200 logements sociaux), ainsi que 37 800 logements inhabités depuis moins de deux ans (soit près de 8 % du parc total, un pourcentage équivalent à celui qu’on retrouve dans la plupart des grandes villes), des chiffres comprenant bien sûr à la fois les logements qui ne sont pas occupés, car à la vente ou à la location, et ceux trop vétustes pour être occupés.
Bien des Marseillais vont suivre le procès de la rue d’Aubagne tant la question du mal-logement fait malheureusement régulièrement l’actualité. Mais au-delà des condamnations qui pourraient tomber, pour obtenir des conditions de logement dignes pour toutes et tous, c’est la réhabilitation massive des logements, la réquisition des logements vides, ou encore l’augmentation significative du nombre de logements sociaux qu’il va falloir imposer.
Sabine Beltrand
1 Lui-même est décédé en mai 2024, mais les juges d’instruction en charge du dossier avaient de toute façon écarté toute responsabilité directe de celui qui a régné sur la ville de 1995 à 2020.