Nos vies valent plus que leurs profits

Même dans la mort, les cheminots sont calomniés par le pouvoir

Bruno Rejony avait 52 ans, il était militant à la CGT-Cheminots et au Parti communiste français : il était de toutes les luttes et avait été secrétaire de son syndicat. Son métier était de conduire des TGV depuis le dépôt de Saint-Étienne. Le soir du 24 décembre 2024, son corps est retrouvé aux environs de Melun dans les emprises ferroviaires, alors que le train qu’il conduisait s’est arrêté automatiquement lorsque le système a détecté qu’il n’y avait plus personne au poste de conduite. Le parquet de Melun chargé de l’enquête a déclaré que « les premières constatations » laissaient penser à un suicide. La direction de la CGT-Cheminots n’écarte pas la possibilité d’un accident, Bruno n’ayant montré aucun signe ni laissé aucune trace d’une volonté de mettre fin à ses jours. Deux enquêtes, celle du parquet de Melun et celle interne à la SNCF avec la participation de représentants syndicaux, sont en cours.

L’annonce de ce décès a suscité l’émoi de tous les cheminots et au-delà, comme en témoigne la présence des deux mille collègues venus aux obsèques de Bruno, les nombreux hommages sous forme de minutes de silence ou de coups de sifflets de trains qui lui ont été rendus à travers le pays ainsi que les milliers de messages de soutien reçus par son syndicat CGT de Saint-Étienne. Les conditions de travail se sont dégradées rapidement en quelques années, notamment avec les découpages en différents services et différentes filiales, qui visent à mettre les salariés en concurrence. Les cheminots n’en gardent pas moins une solidarité de classe qui s’est ici exprimée.

C’est d’un tout autre type d’émoi qu’avait choisi de faire part le nouveau ministre des Transports, Philippe Tabarot, au micro de CNews le 25 décembre : il adressait ses pensées uniquement aux milliers de voyageurs qui avaient raté leur réveillon, situation certes fâcheuse mais comparée à la mort prématurée d’un être humain, qui plus est sur son lieu de travail… Pire encore, le ministre, défendant l’unique thèse du suicide, a sous-entendu qu’un conducteur déséquilibré pourrait attenter à la vie des passagers qu’il transporte : des assertions qui n’étaient basées sur rien et qui mobilisaient le spectre d’un acte de nature terroriste plutôt que de s’interroger sur les causes d’un nouveau cas de mort au travail.

Les cheminots n’attendaient que des mauvais coups de ce ministre de droite, auteur d’une proposition de loi lorsqu’il était sénateur visant à restreindre encore plus le droit de grève, ils ont tout de même été choqués du niveau d’indignité atteint. Cette solidarité active dans le deuil en soutien à l’un des leurs, le camarade Bruno qui, comme des milliers de cheminots a fait de longues grèves déterminées en 2014, 2016, 2018, 2019 et 2023 pour la défense de ses droits de travailleur, montre que les attaques en cours et à venir pourront déclencher résistances et ripostes.

Franck Rouvier