Nos vies valent plus que leurs profits

La Muse rouge, de Véronique de Haas

La Muse rouge
Véronique de Haas
Fayard, Poche, 2021, 448 p., 8,90 €, prix du Quai des Orfèvres 2022

Janvier 1920. L’inspecteur Victor Dessange, revenu blessé du front en 1918, enquête avec un jeune collègue sur l’assassinat d’une « insoumise » (nom donné aux prostituées qui ne se déclaraient pas aux autorités). C’est Pierrot, un « minot » des rues de 12 ans, qui a découvert le cadavre de son amie… près de la Monjol, une maison d’abattage misérable, rue Asselin, près des Buttes-Chaumont. S’ensuit au fil des enquêtes une formidable fresque du Paris des lendemains de la guerre (avec quelques incursions au Havre), entre les réunions de militants et poètes anarchistes (à leur local, « La Muse rouge »), de syndicalistes révolutionnaires à la bourse du travail… et les restaurants des beaux quartiers où se côtoient un ministre des Colonies, des pointures du quai d’Orsay, des affairistes sans scrupules, sans oublier les chefs de la « sûreté » adeptes de l’Action française et des Camelots du roi, commanditaires d’assassinats d’activistes révolutionnaires.
Le tout, alors que des grèves se préparent en France, mais aussi que la révolte gronde au « Moyen-Congo » et que des militants sénégalais projettent d’y acheminer des armes. Avec un épilogue réjouissant à l’Apollo de Montmartre où doivent jouer les Jazz Kings et un « saxophoniste inouï » qui vient de la Nouvelle-Orléans… un certain Sidney Bechet !

L’autrice, Véronique de Haas, est une prof de lettres à la retraite, passionnée d’histoire du XXe siècle. Comme elle le précise dans ses remerciements, « cette rencontre n’aurait pas été possible sans le précieux concours des historiens de cette période d’après-guerre », en ajoutant dans un bref « avertissement » : « Il est sans doute un peu osé de mélanger la fiction et l’Histoire. […] Cependant, cette fiction se fait aussi vecteur de l’Histoire ». Pari réussi. Tout en nous familiarisant avec l’argot de l’époque : la deffe ; le bourgeron ; le caboulot ; le mastroquet ; j’vais te chouriner ; pas touche à cette gigolette ; viens, il joue à la feuille ; il me charibote ; toi, t’as les pieds retournés ; bave pas des clignots, ma belle ; j’ai fait la tortue ; va pas chez ce morticole ; elle, c’est un lièvre … et des dizaines d’autres expressions populaires. De quoi inspirer nos rappeurs d’aujourd’hui !

H.C.