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Naufrage en Calabre : la politique criminelle du gouvernement italien et de l’Union européenne

À ce jour, 69 cadavres ont été retrouvés suite au naufrage d’une embarcation de fortune, le 26 février, à seulement une centaine de mètres de la plage de Steccato di Cutro, près de Crotone, en Calabre. Le nombre des victimes est en réalité plus lourd, puisque des dizaines de migrants sont portés disparus. Parti quatre jours plutôt de Smyrne, en Turquie, ce bateau avait à son bord entre 150 et 200 personnes, dont une vingtaine d’enfants.

Le tribunal a fini par ordonner une enquête concernant l’organisation des secours, qui fait l’objet d’une vive polémique. L’embarcation avait été repérée par un avion de Frontex 1 alors qu’il se trouvait à 40 miles de la côte. Avisées, les autorités italiennes n’ont cependant pas jugé nécessaire de déplacer la garde côtière, qui dispose des moyens de secours en mer, mais seulement deux bateaux légers de la Guardia di Finanza2, qui sont revenus, sans avoir trouvé les migrants, en invoquant de mauvaises conditions météo.

Le gouvernement italien nie que les éléments communiqués par Frontex faisaient état d’une situation de péril. Au lieu d’une procédure de secours, ce qui a été déclenché est donc en réalité une simple opération de police.

La présidente du Conseil, Giorgia Meloni, a demandé à ne pas « instrumentaliser ces morts » et le ministre de l’Intérieur, Mateo Piantedosi, en a rajouté, rejetant la responsabilité de ce drame sur les migrants eux-mêmes, en déclarant : « Le désespoir ne peut jamais justifier des conditions de voyage qui mettent en danger la vie de leurs enfants » [et que] « les migrants devraient plutôt se demander ce qu’ils peuvent donner à leurs propres pays. »

Entre larmes de crocodile (Meloni a annoncé qu’un Conseil des ministres se tiendrait à Cutro et qu’elle-même se rendrait sur les lieux du drame « en tant que mère ») et sempiternelles déclarations contre les « trafiquants d’êtres humains », le gouvernement cherche cacher sa propre culpabilité. D’autant que ce drame est loin d’être isolé.

Selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, 25 390 migrants ont trouvé la mort en cherchant à traverser la Méditerranée, entre 2014 et 2022.

Les milliards d’euros versés aux États des pays de partance pour qu’ils bloquent le départ des migrants vers l’Europe, en fermant pudiquement les yeux sur les conditions de détention dans des camps où ils subissent violences, viols et rackets, la fourniture par l’Italie de vedettes rapides à la garde côtière libyenne (aux mains de milices), n’ont pas empêché, ni même freiné ce que l’on appelle les « flux migratoires », c’est-à-dire la tentative d’échapper, par tous les moyens, à la guerre, à la faim ou à la misère (tant est hypocrite la distinction entre « réfugié » et « migrant économique »).

Le gouvernement Meloni a également intensifié les mesures pour entraver l’activité des ONG. En compliquant par tous les moyens, voire en essayant de transformer en délit, leurs opérations de secours aux migrants… Mesures criminelles destinées avant tout à complaire à un électorat réactionnaire et raciste.

Les navires des ONG ont été séquestrés, parfois pendant des mois, dans les ports, sous prétexte qu’ils ne rempliraient pas les conditions requises pour le transport de passagers, dans certains cas ils ont dû attendre une semaine avant que les autorités se décident à leur assigner un « port sûr » pour pouvoir débarquer leurs passagers, et maintenant elles les obligent à se diriger vers un port de plus en plus lointain, avec interdiction de se dérouter pour porter secours à d’autres naufragés3. Trois équipages font même l’objet d’un procès au tribunal de Trapani (Sicile) sous l’accusation de complicité avec les passeurs.

Concernant le sort réservé aux survivants, Alessandra Sciurba, professeure à l’université de Palerme qui s’est rendue à Crotone témoigne :

« Les survivants des familles brisées dont toute l’Italie a pleuré la tragédie sont confinés dans deux entrepôts. Un hot spot de fortune avec la moitié des lits dont ils auraient besoin, les autres dorment sur des bancs […] Pas même la possibilité, étant confiné là, sauf pour quelques sorties prévues et escortées, de se tenir à côté des cercueils et des proches venus de loin à Crotone pour identifier et pleurer les morts.

Ne dormez pas sur vos deux oreilles en pensant qu’au moins les survivants bénéficieront d’une véritable solidarité, de respect et de droits.

En plus de la vérité et de la justice sur la mort de leurs familles, on leur refuse désormais la dignité de victimes sur le sol italien. »

Une manifestation a eu lieu à Milan le 4 mars, et le même jour un rassemblement à Crotone. En Calabre s’est constitué le « Rete 26 febbraio » (réseau du 26 févier) qui appelle à une manifestation nationale à Crotone, le 11 mars : « Nous demandons justice pour les familles des victimes et les survivants du naufrage de Steccato di Cultro. Une politique européenne commune de secours, d’accueil et asile est urgente. Devant les cercueils rassemblés provisoirement à l’intérieur du PalaMilone (palais des sports) de Crotone, le seul message à adresser au gouvernement italien et à l’Europe toute entière est celui-ci : la Calabre et le sud de l’Italie ne peuvent pas et ne veulent pas être le cimetière de l’Europe. »

Thierry Flamand


Notes

1 Frontex : Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, créée en 2004 pour aider les États membres de l’UE à « protéger leurs frontières extérieures ».
2 La Guardia di Finanza est la police douanière et financière italienne.
3 Selon les accords internationaux, signés par l’Italie : les personnes rescapées en mer doivent être transportées dans un port sûr, « dans les délais les plus rapides ». Ce qui est loin d’être respecté par le gouvernement. Ainsi, au mois de janvier, celui-ci a décidé d’assigner à l’Ocean Viking, de SOS Méditerranée, le port d’Ancône, distant de 1500 kilomètres, l’obligeant à faire quatre jours de mer supplémentaires, dans des conditions météo difficiles, avant de pouvoir débarquer les naufragés qu’il avait recueillis.