Il aura fallu quatre jours pour parvenir à un accord à gauche. Comme toute machine électorale, l’union a commencé la répartition des circonscriptions, et a fini par le programme, révélé vendredi 14 juin dernier, auquel se sont ralliés François Hollande et Philippe Poutou.
Ce lundi, l’Afep, qui réunit les 117 plus grandes entreprises françaises (dont TotalEnergies, Société générale, Airbus ou Danone), a mis en garde contre un « risque majeur », selon l’issue des législatives, de « décrochage durable » de l’économie française et européenne, appelant les partis politiques à la « responsabilité budgétaire ». Les grands patrons pleurent toujours la bouche pleine, précédés par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, qui n’a pas hésité à demander au patronat (au Medef notamment) de « se mouiller » dans cette campagne, fustigeant « la facture du programme marxiste de Marine Le Pen » et montrant ainsi que la théorie économique, ce n’est pas vraiment son truc.
« Nous ne sommes pas des irresponsables budgétaires »
Pour le programme du Nouveau Front populaire, Aurélie Trouvé, de LFI, s’était pourtant voulue rassurante dès vendredi : « Nous sommes sur une trajectoire de réduction des déficits budgétaires. » Et elle ajoute : « Nous ne sommes pas des irresponsables budgétaires. Les recettes seront là et l’impact de nos mesures sur la demande auront un effet de relance. Nous travaillons à partir d’un modèle identique à celui de la Banque de France. »
Le journal Alternatives économiques, confirme : « [La philosophie générale du programme] apparaît finalement assez proche de celle de Joe Biden et repose sur plusieurs piliers : soutien au pouvoir d’achat, investissement public, politique de résistance aux risques économiques et écologiques et politique fiscale orientée vers la justice sociale et l’équilibre budgétaire. S’y ajoute la réponse à un problème de l’économie française, la chute de la productivité du travail. »
Pas de quoi terroriser le patronat donc, malgré quelques mesures alléchantes, qu’aucune composante de ce front d’anciens ministres, secrétaires d’État, voire président et autres partis de gouvernement n’avaient pensé à mettre en œuvre lorsqu’ils étaient au pouvoir.
En vrac, blocage des prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants ; abrogation immédiate des décrets d’application de l’assurance-chômage et de la réforme des retraites (mais pas de retour à la retraite à 60 ans, qui n’est qu’un « objectif commun », à fortiori pas aux 37,5 annuités dont il n’est tout simplement pas question) ; augmentation du minimum contributif au niveau du Smic et minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté ; abrogation de la loi asile-immigration ; hausse de 10 % du point d’indice des fonctionnaires et des APL, rétablissement de l’ISF, plus grande progressivité de l’impôt sur le revenu, etc. Tout ça, c’est sûr, on serait d’accord…
Augmentation des salaires ? Pas vraiment, voire pas du tout
Mais s’il y a bien l’indexation des salaires sur l’inflation et l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires, qui d’ailleurs ne rattrapera pas grand-chose de ce qui a été perdu par eux ces dernières décennies, le programme ne propose pas vraiment l’augmentation des salaires. Le passage du Smic à 1 600 euros net (soit une augmentation de 200 euros), n’entraînera pas l’augmentation des autres salaires (pas même de 200 euros), sauf évidemment à l’imposer par des luttes, ce que le programme n’évoque évidemment jamais.
Contrairement à Macron, Le Maire et leurs donneurs d’ordre du CAC 40, notre question à nous n’est pas « Comment allez-vous le financer ? », mais plutôt : « Comment comptez-vous l’imposer ? » Eh oui, il s’agit d’un front électoral, pas d’un front de combat sur des objectifs précis et à portée de luttes. Pas un mot là-dessus, le message du NFP est clair : « Restez chez vous et votez bien ! »
Un nationalisme économique Macron&Bardella-compatible
Plus on avance, plus on s’aperçoit que le programme n’est pas si « populaire » que ça. Les mesures qui concernent la prétendue « réindustrialisation » soutiennent le patronat français : d’abord le « protectionnisme » (comme le RN ? Mais non, là c’est pour des raisons écologiques, bien sûr !), protéger de la concurrence les produits français à coup de « taxe kilométrique sur les produits importés » (attendez que les autres pays fassent de même, sans parler des composants industriels sur les produits assemblés en France). Un « protectionnisme solidaire » comme disait Mélenchon en 2017, mais du patronat, sans la moindre garantie d’emplois pour les salariés français ou étrangers, tant on sait que les suppressions de postes dépendent bien plus des gains de productivité que les créations de postes ne dépendent des relocalisations.
Ensuite, un « plan de reconstruction industrielle pour mettre fin à la dépendance de la France et de l’Europe dans les domaines stratégiques », au profit d’un patronat national et aux frais du contribuable, pas de quoi choquer, ni un Donald Trump ni un Emmanuel Macron, comme le montre le très macroniste exemple de STMicroelectronics à Grenoble, qui a reçu des milliards de subventions. Car des « aides » aux entreprises, il y en aura en pagaille, sous conditions et sous l’égide d’un « État stratège »… déjà totalement à leur service.
Travailleurs, licenciez-vous vous-mêmes !
Contre les fermetures de site ? Les salariés devront se contenter d’un droit de « préemption » pour la « reprendre » : pour y dépenser leurs indemnités de licenciement, légales ou supra-légales (lorsqu’ils en ont, ce qui n’est pas encore le cas de ceux de MA France à Aulnay), ce qui leur permettra ensuite… de se licencier eux-mêmes ? Car, si le Front populaire veut encourager les Scop, exposées à la concurrence capitaliste, on verra quels miracles pour l’emploi elles pourront réaliser.
Quant à « garantir la responsabilité du donneur d’ordre », cela implique d’abolir la sous-traitance puisqu’elle est précisément là pour exonérer un patron comme Stellantis des conditions, toujours revues à la baisse, qu’il fait peser sur ses sous-traitants, qui, à leur tour, s’empressent de les faire peser sur leurs salariés.
Certes, le NFP voudrait « faire des salariés de véritables acteurs de la vie économique, en leur réservant au moins un tiers des sièges dans les conseils d’administration », mais, sous la domination des capitalistes, c’est la seule manière de faire miroiter une prétendue cogestion (comme en Allemagne) qui mettrait autour de la table salariés et patrons, exploités et exploiteurs, ainsi que leurs « représentants », pour discuter… de quoi ? Dans la société capitaliste, pour avoir voix au chapitre, il faut disposer de capitaux, ce qui exclut les travailleurs de tout pouvoir de décision sur les choix de production ! Tout au plus pourraient-ils contrôler ce que font les patrons, ce qui suppose avoir accès aux comptes véritables, aux carnets de commande, aux études de marché, d’impact. Et non seulement y avoir accès, mais disposer d’un droit de veto, depuis le choix de la production jusqu’à sa mise en œuvre. Faute de cela, la « cogestion » revient à faire entériner par les travailleurs, en général leurs représentants, les conditions de leur exploitation.
Greenwashing et capitalisme vert…
Pareil, pour l’« accélération de la transition écologique » on voit déjà combien elle ne conteste pas le « capitalisme vert », même d’un Carlos Tavares (qui demandera au Nouveau Front populaire de financer les restructurations, suppressions de postes et gains de productivité), et combien elle pèsera donc sur les travailleurs et les pauvres (à la grande satisfaction du RN qui en a fait son axe de campagne).
Et soutien à l’impérialisme français
Sur la France et ses colonies, le paragraphe qui concerne la Kanaky laisse rêveur sur la contestation, même minimale, de l’impérialisme français : renouer avec la promesse du « destin commun », « dans l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa et d’impartialité de l’État ». Comme si l’État pouvait être impartial ! Ce que Macron vient d’ailleurs de démontrer efficacement en renversant d’une seule phrase sur le périmètre électoral tout l’édifice de leurres mis en place depuis ces accords qui ne sont qu’un véritable « pacte de domination » coloniale ! On souffre pour tous ces « décoloniaux », prétendus « radicaux », qui appellent à voter NFP. Car que dira ce dernier sur la défense des intérêts français en Afrique, qu’aucune de ses composantes – sauf Philippe Poutou ! – n’a jamais remis en cause ? L’investiture de François Hollande par le NFP est déjà une réponse en soi : président des opérations Barkhane, des interventions au Mali et dans tout le Sahel, flanqué de généraux-chouchou d’extrême droite (comme son général Puga par exemple). Une politique qui a fini par être vomie par la population africaine au point que les dirigeants de leurs pays font partir les uns après les autres les institutions françaises, à commencer par l’armée.
Sur Gaza ? Le programme veut « permettre l’organisation d’élections libres sous contrôle international », ce qui revient en fait à des élections qui se dérouleraient sous la menace des bombes d’une tonne de l’armée israélienne, fournies par les puissances occidentales, et désormais à ses seules conditions.
Une analyse certes partielle, on aura l’occasion de décortiquer encore le programme de cette une gauche gouvernementale (soucieuse de sa crédibilité et des gains de productivité). Et surtout de parler de tout ce qui ne s’y trouve pas.
Léo Baserli, 18 juin 2024