Alors que le procès de Dominique Pelicot et de ses 50 coaccusés expose sans fard la réalité de la violence du système patriarcal, la classe politique a davantage réagit au viol et meurtre de Philippine. Celui-ci, loin d’avoir été dénoncé comme un féminicide, a été instrumentalisé par l’extrême droite, la droite et une grande partie du gouvernement, notamment par Retailleau. Si le problème (de leur point de vue) était que cet homme n’avait rien à faire sur le territoire français, que dire de ses potentielles victimes dans un autre pays ? Ça aurait été moins grave si cela s’était passé ailleurs, sur des femmes « étrangères » ? Cela montre une fois de plus – s’il en était besoin – que le problème pour ces partis n’est pas le système patriarcal et les violences faites aux femmes, mais de faire la démonstration que « l’étranger », « l’immigré » serait le seul responsable des violences commises contre les femmes. C’est un prétexte pour avancer leurs idées, leur programme, et leur politique de renforcement des frontières et du racisme. L’Assemblée nationale a même observé une minute de silence le 1er octobre en hommage à la jeune femme. Rien de tel pour Gisèle Pelicot, rien de tel pour toutes les autres.
Agir contre les violences sexistes et sexuelles, un choix politique que ne fait pas le gouvernement
Dans son projet de budget, le gouvernement annonce des coupes de plus de 20 milliards d’euros. Aucun poste budgétaire n’est épargné à part celui de la sécurité et de l’armée, mais le gouvernement fait le choix de réduire le budget de la justice qui croule pourtant déjà sous le nombre de dossier de violences conjugales et autres violences contre les femmes. C’est aussi le cas de l’éducation, de la santé et du financement des associations venant en aide aux femmes et aux enfants maltraités dont les subventions ne cessent de s’effondrer alors que les sollicitations à leur égard augmentent de façon exponentielle. Ces coupes budgétaires vont de pair avec des plans de licenciement annoncés à la protection judiciaire de la jeunesse. L’égalité entre les femmes et les hommes était annoncée comme une des « grandes causes » du premier mandat d’Emmanuel Macron, mais avec un Darmanin accusé de viol au ministère de l’Intérieur, ça annonçait déjà la couleur. Aujourd’hui, cette « grande cause » ne vaut même pas un ministère et la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes s’est contentée d’annoncer un « plan de bataille » contre les violences sexuelles fin novembre.
Mais les batailles, ce sont les femmes, comme Gisèle Pelicot, qui les mènent, ce sont ces rassemblements de soutien qui ont eu lieu partout en France, ce sont ces femmes et ces hommes qui, aux quatre coins du monde, manifestent leur ras-le-bol d’un système patriarcal violent ! En France, trois millions de femmes disent qu’elles ont subi des violences sexuelles, sans compter celles qui ne le savent pas ou ne le disent pas, sans compter non plus les enfants et les hommes. C’est un viol toutes les six minutes. Seuls 0,6 % des viols débouchent sur une condamnation. Dans neuf cas sur dix, les coupables sont des hommes. Alors qu’est-ce qui pousse les hommes à agir ainsi ? Comment en finir avec ce système qui produit ce qu’il y a de pire pour la moitié de l’humanité ?
Pour en finir avec le système patriarcal qui produit ces violences
Les 51 accusés sont bien représentatifs de la société française, des hommes « ordinaires »… car « les monstres » n’existent pas. Les agressions sexuelles sont presque toujours le fait d’un proche. Dans une société organisée pour et par les hommes, la culture du viol est prégnante partout et les agressions sexistes et sexuelles sont précisément parmi les expériences les plus partagées par les femmes. Cela ne revient pas à dire que tous les hommes passent à l’acte du viol ou de l’agression – et heureusement ! – personne ne dit cela d’ailleurs, mais qu’on a bien un système contre lequel hommes et femmes ont à lutter pour le transformer.
Si ce procès révèle à celles et ceux qui n’en avaient pas encore conscience l’ampleur des violences faites aux femmes et qui en sont les coupables, il permet aussi de mettre en lumière la cellule familiale comme lieu de reproduction de ces violences, déjà parce que ces viols ont été organisés par le mari de la victime. Mais l’inceste est également bien présent de façon sous-jacente. En effet, un quart des accusés déclarent avoir été victimes de violences pendant l’enfance, pour certains de violences incestueuses. Certes, toutes les victimes d’inceste ne deviennent pas des agresseurs et en aucun cas ces traumatismes ne peuvent excuser les violeurs. Il s’agit par contre de prendre conscience de ce phénomène qui touche plus de 160 000 enfants par an, soit deux enfants en moyenne par classe à l’école. 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance et l’impunité est la règle dont bénéficient presque toujours les agresseurs, des hommes dans leur grande majorité.
La justice telle qu’elle s’expose dans ce procès est aussi un reflet de la domination masculine. Pendant que les accusés se posent en victimes d’une machination orchestrée par le seul Dominique Pelicot, Gisèle Pelicot, elle, a dû répondre à de nombreuses questions de la défense sur sa vie sentimentale et intime, comme si cela pouvait venir justifier les actes qu’elle a subis. Une des avocates de la défense s’est illustrée en insistant sur ce point dans des vidéos sur les réseaux sociaux, dont l’une publiée avec comme musique de fond la chanson Wake Me Up Before You Go-Go (Réveille-moi avant que tu t’en ailles) où elle agite des préjugés sexistes pour les besoins de la défense. Ce sont précisément ces préjugés auxquels il faut s’attaquer. Dominique Pelicot a lui-même comparu un jour avec un tee-shirt où il était écrit Never give up (Ne jamais abandonner). Tout un programme donc.
Si ce procès revêt un caractère exceptionnel, en plus du fait qu’il y a ici preuves et accusés, c’est par sa médiatisation car, pour une fois, il est public, à la demande de la victime qui a dû se battre pour que les vidéos montrant les viols qu’elle a subis soient diffusées alors que la Cour voulait les cantonner au huis-clos. Le public est constitué d’une grande majorité de femmes qui s’y rendent et applaudissent chaque jour Gisèle Pelicot, dont elles soulignent la force, pour montrer qu’à partir de ce qui lui est arrivé c’est l’expérience, l’histoire de femmes du monde entier qui résonne.
Aujourd’hui, pour répondre à la montée du chômage et de la précarité, les gouvernements n’ont de cesse de s’aligner sur le programme de l’extrême droite, d’en appeler à un régime plus fort, à un « homme fort », au retour à l’ordre et à une société passée fantasmée dont le revers n’est autre que le « retour » des femmes à la maison et leur domination totale. Pour mettre un stop à ce qui fait système, on ne pourra pas compter seulement sur des réponses institutionnelles, car, même si elles peuvent parfois, sous la pression d’une mobilisation, permettre des avancées, elles ont bien souvent pour objectif d’uniquement répondre à des exigences et aspirations électorales.
Sept ans après #MeToo, qui avait mis des coups de pied dans la fourmilière, les faits n’ont pas encore assez changé. Pour cela, il faudra qu’on continue de parler, qu’on se réunisse, qu’on s’organise et qu’on lutte. À l’image des rassemblements qui ont fleuri partout en France pendant le procès en soutien à Gisèle Pelicot et à toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles, à l’image des manifestations massives qui ont eu lieu cet été en Inde, ou des États-Unis à la Pologne en passant par l’Argentine pour le droit à l’avortement, de la révolte des femmes et des hommes en Iran contre une dictature réactionnaire et des luttes des femmes afghanes pour survivre. Pour en finir avec ce qui fait système c’est à tout le système d’exploitation et d’oppression qu’il faut s’attaquer !
Marina Kuné