Nos vies valent plus que leurs profits

Quand l’extrême droite passe la balle à la gauche… qui la repasse à la droite

« C’est une époque nouvelle qui commence, il faudra bâtir des compromis », a dit Macron dans son allocution télévisée du jeudi 5 décembre au soir. Ce n’est pas le répondant qui lui manque du côté de la gauche où, en matière de compromis, l’imagination est sans bornes.

La veille du jour où Barnier est tombé, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, avait prévenu : « Le gouvernement Barnier n’existait que grâce à Marine Le Pen. Il va tomber à cause de Marine Le Pen. » Et il est tombé. Par une motion de censure présentée par la gauche. Faure aurait-il souhaité que Marine Le Pen ne commette pas la faute de voter pour ? La gauche aurait eu sa motion de censure, minoritaire, le RN la sienne, minoritaire. Et Barnier son budget.

Il est vrai que le chef de file du PS précise qu’il n’a lui-même voté la motion de censure présentée par son camp qu’« avec gravité » et que ce n’était « pas de gaité de cœur ni écrit d’avance ». Il est peut-être pour une fois sincère : en votant pour la motion de censure de la gauche (même si celle-ci dénonçait l’extrême droite et ses « plus viles obsessions »), le RN lui a servi une soupe plutôt amère. Le RN s’était déjà donné le beau rôle au lendemain des législatives en annonçant que, n’ayant pas la majorité pour faire ce qu’il voulait, il ne serait pas au gouvernement, pendant que la gauche pleurait pour qu’on lui en file les rênes, promettant de ne pas y appliquer le programme électoral du NFP, pourtant déjà bien maigrichon. Et voilà maintenant que le RN censure Barnier en faisant mine de défendre les plus pauvres, dont les retraités (certes français seulement !). Et chiche ! À la gauche de finir de se déconsidérer en prenant des portefeuilles de ministres pour mener, une fois de plus, la politique de la droite.

Le PS pour gouverner à droite : toujours prêt !

Mais puisqu’« à cause de Marine Le Pen » galère il y a, il est temps pour Olivier Faure de monter à bord : « Je ne veux pas simplement témoigner ou protester, je veux gouverner », assure-t-il. Pour cela le chef du PS a sa formule : « Le Front populaire au gouvernement et le Front républicain à l’Assemblée ». En clair : que Macron nomme au gouvernement socialistes et écologistes, et ils gouverneront en faisant majorité républicaine avec des macronistes et la droite.

Car pas question de gouverner avec la FI. On peut se servir d’elle pour une élection, vu qu’elle a davantage d’électeurs que le PS, entre autres dans les classes populaires. Mais son ton effarouche les bourgeois. Et Faure de reprocher aux insoumis de « ne rien faire et rester dans la protestation […] à vouloir exactement ce qui était prévu » par le programme du NFP (auquel pourtant la FI s’était dite prête à renoncer en soutenant Lucie Castets en juillet). Selon Faure, « les écologistes et les communistes » sont prêts aujourd’hui à « prendre leurs risques », ils ont « le souci permanent du compromis » ! Gouverner et s’y discréditer, c’est vrai que les socialistes ont pris mille fois le risque !

De Roussel à Villepin en passant par Jadot

Yannick Jadot pour les écologistes répond présent : « Ce sera difficile, inconfortable mais nous le devons aux Français. » Et de tacler à son tour ces Insoumis dont la seule stratégie serait « le chaos politique » et qui ajouteraient « de la crise politique à la crise politique ». Il faut « qu’à situation exceptionnelle nous ayons un compromis exceptionnel » renchérit le leader des Verts.

Au nom du PCF, Fabien Roussel appelle, dans la même veine, à « un pacte social » entre droite et gauche raisonnables. Et le chef de file des sénateurs communistes, Ian Brossat, a une idée géniale pour le construire : « Quand j’entends Dominique de Villepin sur la situation internationale, je me dis qu’il aurait toute sa place dans un gouvernement dirigé par la gauche. » Un ancien Premier ministre de Chirac, dont le « pacte social » avait été de décréter l’état d’urgence contre les jeunes à la suite des émeutes de banlieue en 2005, quoi de tel pour régler une situation de crise ?

Quant à Jean-Luc Mélenchon, pour tenter de jeter un brin de lumière dans cette « ambiance crépusculaire dont il est temps de sortir », il ne voit qu’une seule solution : Macron démission. « Nous devons rendre la parole au peuple. » Pas dans la rue ou dans la grève, il ne semble pas y songer, mais toujours dans l’ombre des isoloirs ! Que Macron démissionne tout de suite car, explique-t-il, ce sont ses politiques au service des riches qui « ont conduit à la désorganisation générale dans un pays qui est dévalorisé aux yeux du Monde ». Sauvons la France, donc. Et ce « dans le respect des règles qui nous sont imposées par la Constitution, que l’on soit d’accord ou pas avec elle ». Alors, en route vers une nouvelle présidentielle, « et puis, ensuite il faut accepter le résultat du vote », insiste Mélenchon. Même si c’est Marine Le Pen, qui a tout de même plus de chance que lui ? Et le leader de la France insoumise ne jure que par ce Nouveau Front populaire (déjà moribond) qui seul serait « du côté de la solution plutôt que du problème » alors même que tous ses alliés du NFP crachent à la gueule de la FI, pressés qu’ils sont d’arriver à la barre.

Olivier Belin