Nos vies valent plus que leurs profits

Retour sur le combat des dockers face à l’automatisation

Début octobre, 45 000 dockers de 36 ports des littoraux de l’Atlantique et du golfe du Mexique, respectivement à l’est et au sud des États-Unis, ont fait grève pendant trois jours. Cette grève a rapidement menacé d’asphyxie l’économie américaine tout entière, tant les ports sont vitaux pour l’approvisionnement du pays. Un accord provisoire a été conclu, sous une forte pression de l’administration du président Joe Biden. Si certains de ses aspects sonnent comme une victoire pour les travailleurs, d’autres pourraient se retourner contre eux. Cet article, rédigé par des camarades de l’organisation Speak Out Now, revient sur les enjeux de la grève… et du bras-de-fer qui se poursuit entre les dockers et leurs employeurs.

L’une des principales revendications des dockers en grève représentés par l’International Longshoremen’s Association (ILA) était de protéger les emplois des travailleurs contre le remplacement par l’automatisation. Les décideurs industriels, qu’il s’agisse d’hommes d’affaires ou de fonctionnaires, utilisent depuis longtemps les développements technologiques pour tenter de rendre la production de biens aussi efficace que possible et d’augmenter ainsi les profits. Fin octobre, le président en exercice, Joe Biden, a d’ailleurs annoncé des subventions fédérales de près de 3 milliards de dollars pour moderniser l’infrastructure et l’équipement des ports à travers le pays. Bien qu’ils essaient de présenter cela comme un projet « respectueux du climat », l’une des véritables motivations derrière l’électrification est d’automatiser le travail (tout en continuant d’exporter et d’importer des combustibles fossiles et des produits qui en incorporent… de quoi relativiser les discours « écoresponsables » des patrons et du gouvernement). Mais une telle automatisation dans un système qui privilégie les profits signifie également que les travailleurs perdent leur emploi.

Depuis des décennies, des tentatives ont été faites dans le monde entier pour automatiser les ports, ce qui a permis de standardiser les conteneurs et de rationaliser leur manutention. De nombreux emplois portuaires sont extrêmement dangereux : d’énormes conteneurs pesant des dizaines de tonnes sont soulevés et empilés à l’aide de grues et d’autres machines de grande taille. L’automatisation d’une partie de ces machines peut améliorer la sécurité des travailleurs, qui n’ont plus à être en contact étroit avec les équipements lourds. Mais les dockers savent qu’ils ne devraient pas être écartés de tâches qui requièrent de l’expérience et des connaissances et qui peuvent souvent être accomplies plus efficacement et pas toujours plus lentement par des humains. La poursuite de l’automatisation des ports existants coûterait plusieurs centaines de millions de dollars pour des avantages discutables, de l’aveu même du Government Accountability Office (la Cour des comptes américaine).

L’importance de la circulation des marchandises est apparue clairement lorsque les dockers de l’ILA ont fait grève pendant trois jours, du 1er au 3 octobre, affectant l’économie américaine d’un montant estimé entre 1 et 5 milliards de dollars par jour. Les principales préoccupations des travailleurs concernaient les bas salaires et la protection contre la perte de leur emploi en raison de l’automatisation.

Le 4 octobre, l’ILA a annoncé que les patrons du transport maritime et les opérateurs portuaires étaient parvenus à un accord provisoire sur une augmentation salariale de 62 % dans le cadre d’un nouveau contrat de six ans. Le syndicat a donc suspendu la grève. Mais cet accord sur les salaires est subordonné à la conclusion d’un accord sur le degré d’automatisation autorisé, le cas échéant. Si aucun accord sur l’automatisation et toutes les autres questions en suspens n’est conclu d’ici le 15 janvier, l’ILA est libre de se remettre en grève… et les patrons sont libres de déchirer toutes les promesses qu’ils ont faites en matière d’augmentation des salaires !

Si l’ILA se remet en grève en janvier, on peut craindre que le rapport de force établi par les dockers avec les patrons du transport maritime et les opérateurs portuaires soit considérablement affaibli. D’une part, les expéditions ont tendance à diminuer au cours des premiers mois de l’année et, d’autre part, l’élection étant passée, Trump pourrait se sentir libre d’invoquer une disposition de la vieille loi anti-ouvrière Taft-Hartley pour mettre fin à une grève.

[…]

Les dockers nous le montrent : notre travail est extrêmement précieux et permet à l’économie mondiale de fonctionner. Bien que les patrons utilisent l’automatisation pour tenter de nous remplacer, nous pouvons les remplacer si nous sommes organisés. Dans un monde où nous, les travailleurs, prenons les décisions, nous pourrions tirer parti de l’automatisation sans perdre notre capacité à manger, à payer le loyer ou à accéder aux soins de santé. Dans les luttes d’aujourd’hui, soutenons les travailleurs des ports et d’ailleurs qui se battent contre les capitalistes qui utilisent l’automatisation pour les exploiter à des fins de profit tout en risquant la vie des travailleurs.

Speak Out Now, 8 novembre 2024.