Après bientôt trois ans de guerre en Ukraine, et des victimes civiles et militaires indénombrables, c’est vers Trump que se tourneraient les espoirs ou mirages de paix, depuis qu’il a lancé dans sa campagne la formule à l’emporte-pièce selon laquelle il réglerait la question en 24 heures avec Poutine. Dès le 20 janvier, jour de l’intronisation ? Poutine n’a rien dit des 24 heures, mais n’a pas rejeté l’idée de rencontrer Trump et d’aller vers un deal. Il semble sous pression de capitalistes de l’industrie et des finances russes qui alertent sur la dégradation de la situation économique et indiquent ainsi qu’il faudrait en finir avec la coûteuse aventure guerrière, qui dévore 40 % du budget du pays, et fait jusqu’à des centaines de milliers de morts et blessés dans les rangs de l’armée.
Dans une situation où malgré l’aide occidentale – qui a toujours eu ses limites – l’armée ukrainienne ne parvient plus à faire front, où les difficultés à recruter pour la guerre se multiplient, et les désertions avec, Zelensky a répété le 31 décembre dans son discours à la nation que son pays aurait à se battre « sur le champ de bataille » mais aussi « à la table des négociations ». Pour masquer ses difficultés, il fait le bravache en se félicitant d’avoir définitivement fermé le gazoduc Bratstvo (Fraternité !) qui approvisionnait encore une partie de l’Europe en gaz russe. Cela pénalise certainement la Russie, mais l’Ukraine également, qui touchait sa quote-part. Et Zelensky, lui aussi, met ses espoirs dans un Trump qui « veut vraiment mettre fin à la guerre », dit-il. Trump, le sauveur suprême ?
Parler de « paix » est une escroquerie
Entre l’annonce d’un deal et sa conclusion, combien de morts et de destructions encore ? C’est la paix des cimetières. On apprend que des spécialistes s’appliqueraient à comparer dans un laboratoire de Hollande1 des échantillons d’ADN de réfugiés ukrainiens en Pologne, Allemagne et autres pays européens avec des restes humains de corps non identifiés, envoyés par Kiev : on compte les morts d’une boucherie digne d’un autre âge, avec les moyens les plus sophistiqués de la génétique. Les morts civils sont plus facilement classables : l’ONU en dénombre plus de 12 000 depuis le 22 février 2022.
En réalité il n’y aura pas de paix mais au mieux un gel de la situation sur la base du rapport de force. Poutine pourrait garder les territoires occupés, régions qu’il a déjà annexées à l’est et au sud du pays et qui représentent 20 % du territoire ukrainien, et la Crimée annexée déjà en 2014. Trump pourrait lui concéder une neutralité de l’Ukraine, sans lien avec une Otan que Trump par ailleurs menace de ne plus financer, en en laissant la charge aux États européens. Un lot de consolation serait laissé à ceux-ci, dont la France, qui pourraient disposer de troupes « garde-frontières » sur le sol ukrainien. Tels sont les premiers schémas mis en avant.
La vérité des prix impérialistes
Derrière la prétention apparemment folle de Trump de régler l’affaire en en 24 heures avec Poutine, il y a surtout l’annonce de deals sur le dos des peuples. Poutine a choisi une intervention guerrière contre un voisin plus faible, pour lui croquer du territoire, satisfaire quelques appétits économiques et résister à la guerre commerciale américaine, mais aussi pour garder sous son joug un peuple ukrainien qui s’est révolté contre son emprise, en 2014, et y a encouragé des voisins biélorusses et kazakhs. On voit aujourd’hui encore son acharnement à faire pression sur les voisins géorgiens, moldaves, voire slovaques. Poutine est bien un défenseur d’un ordre impérialiste que révulse toute aspiration démocratique.
Les États-Unis, de leur côté, ont saisi l’occasion de prétendre aider l’Ukraine en vendant des armes pour faire des dollars sur le sang des combattants ukrainiens. De poursuivre ainsi une reconfiguration de l’Europe déjà amorcée, y compris au détriment de leurs alliés de l’Otan, dont au premier chef l’Allemagne dont ils ont privé l’industrie de gaz russe. Et de vendre leur gaz, et de vendre leurs armes, et de vendre aussi une politique protectionniste faite de taxes douanières mais aussi de murs toujours plus nombreux et sophistiqués – qui divisent les peuples. La Pologne, pays dont la bourgeoisie s’enrichit entre autres grâce à la main-d’œuvre bon marché ukrainienne que la guerre a amenée sur son sol, s’affaire à dresser un mur de près de 200 kilomètres de long et cinq mètres de haut, sur la frontière qui la sépare de la Biélorussie. Un mur moderne, doté de capteurs et détecteurs de mouvements !
Les plus forts gagnent, du moins tant que les prolétaires ne savent pas s’unir autour d’une politique de classe et compter sur leurs propres forces. Les travailleurs d’Ukraine n’ont pas choisi la politique qui les aurait rendus forts. Ils ont compté, évidement pas tous, sur le mirage de l’aide militaire occidentale. Seule une mobilisation qui en aurait appelé aux travailleurs de toute l’Europe, dont au premier chef aux travailleurs et jeunes de Russie, leur aurait fourni une force décuplée. Mais l’histoire n’est pas terminée, et si les « grands » du monde impérialiste ont besoin de fossés de sang et de murs pour défendre leur système, c’est que celui-ci est bien fragile.
5 janvier 2025, Michelle Verdier
1 Le Monde, 20 décembre 2024 : « En Ukraine, la difficile quête des disparus du champ de bataille ».