
L’appel à « tout bloquer » le 10 septembre avait été ignoré par l’intersyndicale, qui avait tout fait pour reprendre la main en appelant à une journée de grève et de manifestations le 18 – ni trop près du 10 pour qu’elle ne puisse pas servir de rebond, ni trop loin pour être sûre de reprendre la main.
Comment l’intersyndicale a désamorcé l’expression de la colère
Mais, malgré les savants calculs des confédérations syndicales, la mobilisation du 18 est apparue comme la continuation de celle du 10, et l’a amplifiée. Il aurait fallu battre le fer quand il était chaud ? L’intersyndicale a choisi d’adresser un « ultimatum » au Premier ministre : il avait jusqu’au 24 septembre pour abandonner la retraite à 64 ans, revaloriser les salaires des fonctionnaires, instaurer la « justice fiscale ». Sinon… eh bien sinon, elle appellerait à… une nouvelle journée d’action.
Lecornu n’a évidemment pas bougé d’un pouce, et l’intersyndicale s’est résolue à appeler à une nouvelle journée d’action, mais deux semaines après la précédente, le 2 octobre. Moins de monde que le 18, mais aussi que le 10, et, là encore, on pouvait s’y attendre.
Depuis ? Strictement rien. Les directions syndicales ont laissé le gouvernement tout ramener au cirque parlementaire. L’inaction syndicale a provoqué une bronca au comité confédéral national de la CGT, où a été fustigé le ralliement de Sophie Binet à l’« ultimatum » de l’intersyndicale. Sans que cela ait des conséquences sur la politique suivie, puisque le mouvement, en tout cas celui initié le 10 septembre, semble bel et bien retombé. En tout cas, le constat est là : l’intersyndicale, pas plus que chaque syndicat pris isolément, n’a pas l’intention de mobiliser l’ensemble des travailleurs pour faire face aux attaques.
Construire un mouvement capable de gagner
Dans les entreprises, la colère est bien là : tout le monde rame, les salaires ne bougent pas alors que les prix ont explosé. Et les licenciements se traduisent par des conditions de travail dégradées pour ceux qui conservent leur emploi.
Bien sûr, de nombreux travailleurs disent ne plus trop y croire, vu les échecs répétés. Pourtant, le simple fait qu’on parle encore de « suspendre » la réforme des retraites montre que la mobilisation de 2023 sur les retraites, avec ses millions de travailleurs impliqués dans le mouvement, a laissé des traces profondes, même si elle n’a pas abouti, au point d’être toujours au centre des marchandages politiciens. Mais les directions syndicales, qui ont systématiquement bridé les mouvements, portent une lourde responsabilité dans ce découragement. En tout cas, une chose est sûre : elles ne feront rien qui ait une chance de mettre en danger le patronat. Ne reste donc comme solution que de se passer d’elles. Les Gilets jaunes ont bien construit un mouvement par en bas. Mais c’était hors des entreprises. Or, dans les entreprises, pas besoin de se donner de rendez-vous sur un rond-point, tout le monde est sur place. Un mouvement à la dynamique explosive peut parfaitement naître, depuis les entreprises cette fois : les pages de ce journal sont pleines d’exemples d’entreprises en lutte.
Se réunir, s’organiser directement, décider nous-mêmes de notre mouvement, de sa conduite, fédérer nos forces avec celles des autres entreprises en lutte, s’organiser à tous les niveaux, groupe industriel, mais aussi ville, département, région, s’organiser aussi au niveau national : on peut tout construire quand la décision est prise d’y aller coûte que coûte.
De nombreux militants syndicaux qui, à la base, sont révoltés par l’attitude de leur direction apporteraient alors leur pierre à l’édifice, aux côtés de tous les organisateurs qui surgiront des rangs des travailleurs en lutte, comme au moment des Gilets jaunes, comme dans tous les mouvements en fait.
Il faudra une étincelle ? L’arrogance des patrons et de nos gouvernants l’allumera. Inévitablement.
14 octobre 2025, Jean-Jacques Franquier