La SNCF a officialisé, vendredi 23 février, ses résultats financiers, affichant un bénéfice net record de 2,4 milliards d’euros pour l’année 2022, en hausse par rapport aux résultats d’avant la crise provoquée par le Covid-19.
Une part importante de ces bénéfices a été réalisée par Geodis, sa filiale de transport de marchandises par la route. Depuis des années, l’État et la SNCF ont fait le choix de délaisser le fret ferroviaire au profit du développement du routier. Geodis, filiale tentaculaire présente dans 168 pays et employant 44 000 personnes (près d’un tiers de l’effectif total du groupe SNCF) a ainsi été propulsée parmi les leaders européens du secteur. La SNCF se présente comme une entreprise vertueuse en matière d’impact écologique, avec ses économies de CO2 réalisées à chaque voyage en train. Elle prétend même, dans son bilan de l’année, que ses émissions de CO2 sont restées stables (en France) malgré une forte croissance (dans le monde)… Astuce qui masque certainement une belle augmentation des émissions, au moins proportionnelle à l’évolution du chiffre d’affaires de Geodis depuis 2019 : + 68 % !
Les bénéfices record viennent aussi de l’excellent résultat du ferroviaire voyageurs, SNCF Voyages. La hausse de fréquentation des trains en 2022 a largement dépassé les anticipations de la direction du groupe – au point que de nombreux trains ont été supprimés à l’automne 2022 faute de conducteurs.
Mais l’augmentation de la fréquentation n’explique pas tout. Les bénéfices ont augmenté dans une proportion bien plus forte, ils ont explosé de 55 % en un an. Cela repose sur l’augmentation de l’exploitation du travail des cheminots, dans tous les services. Le sous-effectif chronique et organisé depuis des années est devenu une méthode de management. La pénurie de main-d’œuvre renforce encore ce cercle vicieux d’augmentation de la charge de travail, des arrêts maladie et des démissions. Ces bénéfices, c’est aussi le fruit des efforts des cheminots, parfois au détriment de leur santé.
100 milliards pour rénover le réseau ferroviaire ?
La SNCF prévoit de consacrer une partie de ses bénéfices pour compenser partiellement les hausses des prix des matières premières, dont l’électricité. L’autre partie irait à la rénovation du réseau, qui peine pourtant à se rénover et à se moderniser. En avril dernier, le contrat de performance signé par l’État et SNCF Réseau prévoyait que l’État investisse 2,8 milliards d’euros par an dans cette rénovation. L’ancien PDG de SNCF Réseau, Luc Lallemand, avait jugé ce plan insuffisant, avant d’être débarqué quelques mois plus tard, pour cause de « divergence avec l’État ».
Ce qui n’a pas empêché la Première ministre, Élisabeth Borne, de lancer un nouveau coup de com’ : un plan d’investissement de 100 milliards d’euros d’ici à 2040, soit exactement le budget que réclamait le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, destiné « à moderniser le réseau ferroviaire national et à développer le RER dans dix métropoles ». Les collectivités, mais aussi l’Europe, devraient être mises à contribution, mais elles n’ont pas encore été sollicitées. Autre piste de financement : les sociétés d’autoroutes. On attend de voir ! Elles ont plutôt été habituées à être gavées que mises à contribution par l’État. Ces financements bien hypothétiques, qui viennent s’ajouter à des dépenses déjà annoncées et prévues (notamment au contrat de performance signé en avril 2022) n’en sont pour l’instant qu’au stade de l’intention. Et comme pour toute bonne résolution de début d’année, celle-ci n’engage que ceux qui y croient.
Le timing de ce coup de com’ ne doit cependant rien au hasard. À une semaine du début d’une grève reconductible que les cheminots se préparent à investir massivement pour le retrait du projet de réforme des retraites et pour des augmentations de salaire, ces bénéfices records viennent apporter la preuve que l’argent existe pour financer les revendications. Si la vague promesse des 100 milliards pourrait exciter quelques convoitises chez les dirigeants syndicaux – c’est un de ses objectifs – elle ne détournera pas les travailleurs du bras de fer en cours. Tout au plus cette grosse ficelle attirera quelques sarcasmes dans les assemblées générales de grévistes cheminots le 7 mars au matin !
Stella Monnot