Alors que le gouvernement veut, en modifiant la Constitution, autoriser l’élargissement du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, les organisations indépendantistes avaient appelé à manifester contre ce projet qui rendrait les Kanak, qui constituent la population indigène de l’archipel, encore plus minoritaires1. Les manifestations ont été massives : par exemple, ils étaient 3 000 à Lifou, la plus importante des îles Loyauté, sur une population de 10 000 habitants !
Mais ce qui a surpris tout le monde, organisations indépendantistes comprises, c’est que, en parallèle des manifestations sur les routes et les ronds-points, ces appels ont débouché sur de véritables soulèvements des jeunes, et même des très jeunes, dans les quartiers et les banlieues pauvres de Nouméa, la capitale de l’archipel. L’aggravation par le projet de loi du fait colonial, en faisant que les Kanak deviennent toujours plus minoritaires dans leur pays, est évidemment non seulement derrière la mobilisation visible à l’appel de la CCAT2 mais en arrière-fond de la révolte de la jeunesse des banlieues. Christian Tein, un des responsables de la CCAT, déclarait le 14 mai sur une radio locale : « Les difficultés à ce que le pain puisse arriver sur la table… Tous les jours, se pose cette question. Il y en a d’autres qui ne se la posent jamais. Quand un peuple est adossé à un mur comme ça, il ne peut que réagir. » La CCAT appelle à maintenir la mobilisation sur les grands axes, tout en appelant les jeunes au calme.
Tout se mêle forcément dans un contexte où le fait colonial est en train de s’aggraver et où les classes populaires connaissent encore plus de difficultés qu’ici. La situation sociale de la Nouvelle-Calédonie a changé depuis les accords de Nouméa de 1998. Une partie des Kanak se sont déplacés des villages vers Nouméa, où ils constituent l’essentiel de la population des quartiers et des banlieues pauvres, mais où ils côtoient une main-d’œuvre immigrée venue d’autres îles du Pacifique ou d’autres pays – Wallisiens, Tahitiens, Ni-Vanuatu, Vietnamiens. Le fait même que la révolte ait soulevé les jeunes, toutes origines confondues, montre que les causes vont bien au-delà des seules revendications, aussi légitimes soient-elles, des organisations indépendantistes.
Même si les situations ne sont pas exactement les mêmes, difficile de ne pas faire le rapprochement avec les émeutes de la jeunesse des banlieues ici, en métropole, l’an dernier : misère matérielle et morale, dignité bafouée. Des raisons considérablement amplifiées en Nouvelle-Calédonie par le racisme et la brutalité du pouvoir, constitutifs du colonialisme.
Pour l’instant, la seule réponse du gouvernement est l’envoi de contingents supplémentaires du Raid et du GIGN ! Et il semble bien que des milices d’extrême droite s’organisent au centre de Nouméa pour aider à la répression. Il y a déjà eu deux morts par balle dans la nuit du 14 mai et le représentant de l’État, Louis Le Franc, a fait état d’échanges de tirs entre manifestants et milices. Ce même représentant a menacé de poursuivre la CCAT qu’il considère comme « responsable de tout ce qui se passe en ce moment ».
En tout cas, face à l’aggravation du fait colonial en Nouvelle-Calédonie et à la répression qui s’abat déjà sur la jeunesse et menace tous les manifestants, nous ne pouvons qu’être solidaires de la jeunesse kanak et des organisations qui mènent le combat contre le fait colonial.
15 mai 2024, Jean-Jacques Franquier
1 C’est en 2007 que Chirac avait décidé le gel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Le projet actuel du gouvernement consiste à l’étendre à tous les Français qui vivent en Nouvelle-Calédonie depuis plus de dix ans.
2 Cellule de coordination des actions de terrain, qui réunit des représentants de la plupart des partis et syndicats indépendantistes.