Le 12 février, le coup de téléphone de Trump à Poutine, où, pendant une heure et demie, les deux représentants de l’oligarchie mondiale auraient discuté des possibilités d’une négociation de « paix » en Ukraine, a quelque peu secoué les milieux politiques et médias dominants. Il ne leur a évidemment pas échappé que Trump a parlé à Poutine et pas à Zelensky ! Qu’il n’a pas non plus parlé aux responsables de l’UE, très vexés ! Les Européens ne décolèrent pas de ne pas avoir été invités. Macron a tenté d’allumer son contre-feu en réunissant le 17 février, en présence du secrétaire de l’Otan, huit dirigeants de l’UE et celui de Grande-Bretagne, qui prétendent participer au festin du repartage post-guerre. L’échange a surtout montré combien l’UE, dont Macron se voudrait le général, est divisée, entre autres à propos des « garanties de sécurité » d’un cessez-le-feu. Macron milite pour le déploiement de troupes, notamment françaises – un signe de son militarisme… avec la peau des autres ! La Grande-Bretagne et la Suède aussi, mais pas l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie. Et, tandis que tous glosent sur un tel engagement militaire, Trump de son côté fait rebelote et annonce des pourparlers russo-américains à Riyad pour le lendemain, 18 février !
Le sort de la population d’Ukraine n’est le souci d’aucun de ces chefs d’États et de gouvernements. Tant pis si le pays ne retrouve pas son intégrité territoriale. Tant pis si un deal consacre la mainmise de la Russie sur les régions qu’occupent ses troupes, dont le sud-est du pays et un vaste accès à la mer Noire. Puisque Trump a donné le signal de négociations, dont personne ne sait si elles sont hypothétiques ou certaines, lointaines ou proches, tout le monde suit, à reculons ! Ce « bon vent » aurait même fait grimper la bourse de Moscou.
Pas un tournant mais un aboutissement de la politique des USA
Cela fait en réalité des mois que le lâchage de Zelensky était annoncé, par Biden déjà qui à plusieurs reprises lui a refusé des aides financières et militaires. L’impérialisme américain a obtenu une bonne partie de ce qu’il cherchait par un appui savamment dosé à l’Ukraine et des sanctions économiques contre la Russie où il a trouvé son compte, en y entraînant bon gré mal gré l’ensemble de l’UE. Il a affaibli la Russie de Poutine en coupant l’Europe occidentale du gaz russe et d’autres liens commerciaux et financiers qu’elle avait avec la Russie. Il a affaibli par la même occasion ses alliés de l’Otan qui ont dû procéder à des conversions coûteuses, dont l’achat d’un gaz américain plus cher pour faire tourner leurs industries. Il a encouragé les États de l’UE à saigner leurs populations par l’augmentation de budgets militaires… dont une bonne part tombe dans les caisses des marchands d’armes américains.
L’impérialisme américain estime probablement n’avoir désormais plus grand intérêt à soutenir ce « front » ukrainien. Son appui inconditionnel à Netanyahou renforce sa présence au Moyen-Orient (et accessoirement a forcé Poutine à lâcher sa base militaire en Syrie, et l’ouverture sur la Méditerranée). Trump a aujourd’hui plus à perdre à continuer l’affrontement avec la Russie, alors que le cœur des tensions inter-impérialistes se joue désormais avec la Chine.
À nouveau, un peuple « lâché »
Et pour le peuple ukrainien ? Tout dépend de qui on parle et de quelle classe. Victimes collatérales de la guerre, quelques hauts fonctionnaires et gradés, quelques oligarques ont été bousculés par Zelensky, dont l’ancien président Porochenko, suspect de le concurrencer à de prochaines élections. Mais les vraies et seules victimes de la guerre et de ses destructions sont les classes populaires : souvent privées d’eau, d’électricité, de nourriture, de toit et de travail comme de possibilités de réagir sous une loi martiale destinée à étouffer toute opposition ouvrière et populaire. Si des négociations s’engagent entre Trump et Poutine (avec Zelensky et les représentants de l’UE, dont Macron, sur des strapontins ou pas), on peut penser que ce sera avec quelque inquiétude de leur part sur les réactions possibles, à court ou plus long terme, des travailleurs d’Ukraine. La désillusion face à la politique de Zelensky, de recours à l’aide militaire occidentale pour prétendument bouter les troupes et les ambitions annexionnistes de Poutine, peut se transformer en colère et en mobilisation.
Contre l’agression de l’impérialisme russe, les classes populaires ukrainiennes n’ont malheureusement pas pu organiser elles-mêmes leur propre défense, avec un propre programme de classe, internationaliste, qui aurait cherché des alliés du côté des travailleurs russes. Du côté russe, la voie d’une politique internationaliste n’a pas été trouvée non plus. Mais la situation présente et à venir, de difficiles lendemains de guerre, peut déclencher des prises de conscience et des luttes. Jamais ni nulle part les armes d’impérialistes n’ont aidé durablement les peuples à se libérer du joug de puissants. Même si la voie en est difficile, l’émancipation des travailleurs ne sera l’œuvre que des travailleurs eux-mêmes.
Michelle Verdier, 17 février 2025