Vendredi 4 avril, les autorités tunisiennes ont démantelé les camps de fortune où survivaient des milliers de migrants subsahariens principalement dans les oliveraies d’El Amra et de Jebeniana, au centre-est du pays. Parmi eux, près de 4 000 personnes – hommes, femmes, enfants – ont été expulsées du camp dit « Kilomètre 24 », dispersées vers des zones rurales ou des villes côtières, sans aucun plan d’hébergement. Seule certitude : leur précarité s’est aggravée.
Depuis des mois, ces camps improvisés incarnaient l’ultime refuge pour des exilés chassés de Sfax lors des violences xénophobes de l’été 2023. Même éloignés des villes cela n’a pas contribué à faire baisser la tension, une partie de la population alentour a mis en œuvre une campagne xénophobe sur les réseaux sociaux pour pousser les autorités à évacuer les camps de fortune. L’État tunisien, qui prétend aujourd’hui « soulager » des populations locales en démantelant ces camps, n’est pas un arbitre neutre. C’est ce même pouvoir qui, au lieu de combattre les discours de haine, les a légitimés par des déclarations ouvertement racistes, attisant la peur de « l’invasion » subsaharienne pour détourner l’attention des véritables crises sociales et économiques. En agitant le spectre du migrant subsaharien comme bouc émissaire, le régime orchestre cyniquement la montée du racisme, puis intervient en faux sauveur, renforçant son autorité sous couvert de « maintien de l’ordre ».
Sous les oliviers, des familles survivaient dans des abris de plastique et de carton, exposées aux températures glaciales de l’hiver. Derrière les baraques de fortune, des carcasses de barques métalliques, ces cercueils flottants utilisés pour les traversées, jonchent le sol, traces d’un business mortifère : celui des passeurs, que Tunis et l’Europe disent combattre… tout en le nourrissant.
Alors que les facteurs d’exil (climat, pauvreté, conflits, guerres, etc.) ne cessent de se multiplier, ce raid s’inscrit dans la lignée des accords UE-Tunisie, où Bruxelles finance à flux tendus la « sécurisation des frontières ». Résultat : les patrouilles de Frontex et les missions sécuritaires se multiplient en Méditerranée, ainsi que les naufrages : 2 500 morts recensés depuis janvier 2024.
Demain, la mer ou la rue
Après l’évacuation, sans aucune solution proposée, les migrantes et migrants errent désormais dans les champs voisins ou retournent vers Sfax, malgré les risques de violences. Le « Kilomètre 24 » n’existe plus. Mais sous d’autres oliviers, de nouveaux camps naîtront, plus invisibles, plus précaires. Hier, ils avaient des toits en plastique, aujourd’hui c’est le ciel. Et demain ? La mer. Les barques en métal, malgré leur dangerosité, restent l’unique issue : construites en trois jours pour une misère, elles continueront de prendre l’eau… et les vies, tant que nous vivrons dans un monde où les frontières tuent.
Nora Debs