Nos vies valent plus que leurs profits

Tunisie : les LGBT+ dans le viseur du régime de Kaïs Saïed

Répression, torture, propagande morale réactionnaire : retour à l’ordre réactionnaire dans une société tunisienne sous étouffoir.

En 2023, en Tunisie, la haine d’État s’est abattue sur les migrantes et migrants subsahariens, accusés par Kaïs Saïed d’être les « ennemis de la nation », dans une surenchère xénophobe visant à détourner l’attention des échecs économiques et sociaux du régime. Mais les personnes LGBT+ n’ont pas été oubliées. En 2024, c’est contre elles que le pouvoir autoritaire de Kaïs Saïed relance sa vieille offensive morale, dans la droite ligne d’un projet de société réactionnaire, conservateur, et de plus en plus autoritaire.

Car si le feu de la haine change parfois de cible, la logique reste la même : faire diversion en désignant des boucs émissaires, renforcer le populisme et criminaliser toute forme de dissidence, de différence ou de liberté.

Une stratégie politique : l’instrumentalisation de la haine

Depuis le début de l’année 2024, le ministère de la Justice a donné instruction aux procureurs de poursuivre « toute personne produisant, affichant ou publiant des données, des images et des clips vidéo portant atteinte aux valeurs morales ». Sous couvert de « bonnes mœurs », c’est un outil de répression ciblée qui se met en place, visant en priorité les créateurs de contenus queer sur TikTok. Le jeune Khoubaib, figure populaire du réseau, est actuellement incarcéré pour « atteinte aux mœurs ».

Cette campagne homophobe orchestrée du sommet de l’État ne s’arrête pas aux réseaux. Dans la rue, dans les médias, dans les discours politiques, la haine envers les personnes LGBT+ se banalise, s’organise et s’assume.

Homophobie d’État : une vieille histoire

La Tunisie de Kaïs Saïed ne fait que réactiver des logiques déjà à l’œuvre sous la dictature de Ben Ali. L’article 230 du Code pénal, hérité du droit colonial français, criminalise toujours la « sodomie », soit les relations homosexuelles et les punit de trois ans de prison. S’y ajoutent les articles 226 et 227, sur l’« outrage public à la pudeur » et l’« atteinte aux bonnes mœurs », permettant d’arrêter et d’humilier à peu près n’importe qui, n’importe quand.

Sous Ben Ali déjà, la police arrêtait, fichait, torturait. Les homosexuels et les personnes trans vivaient sous surveillance, dans la peur constante d’un contrôle, d’un « test anal », d’un passage à tabac. Mais, à l’époque, le régime se gardait d’en faire une croisade publique. Kaïs Saïed, lui, instrumentalise cette répression dans une logique assumée de « purification morale » et d’islamisation rampante de l’État.

Arrestations massives et violences systématiques

Entre septembre 2024 et janvier 2025, au moins 84 personnes, principalement des hommes gays et des femmes trans, ont été arrêtées dans plusieurs villes : Tunis, Sousse, Hammamet, Le Kef. Ce sont des arrestations souvent arbitraires, accompagnées d’humiliations, de passages à tabac, de viols collectifs parfois.

Les examens anaux forcés, pratiques dénoncées par l’ONU comme des formes de torture, sont toujours utilisés pour « prouver » une homosexualité réelle ou présumée. Par ces viols institutionnalisés, on cherche à briser et à dominer. Loin de protéger, l’appareil judiciaire participe activement à la terreur.

En prison, les personnes arrêtées sont livrées à la violence des détenus et du personnel pénitentiaire. Les femmes trans sont systématiquement placées dans des prisons pour hommes, exposées aux agressions, sans recours.

Une société contaminée par la haine

La répression étatique s’appuie sur un socle idéologique profondément homophobe. L’État tunisien affirme son caractère islamique dans sa Constitution et mobilise la religion et la « préservation » de la nation pour justifier de punir les individus et criminaliser les existences.

À l’école, les enfants qui ne correspondent pas aux normes de genre, garçons jugés « trop efféminés », filles dites « trop masculines », sont harcelés, exclus et insultés. L’institution ne protège pas. Elle perpétue. Elle endoctrine. Elle brise.

Les conséquences sont dévastatrices : dépression, exclusion, précarité, suicide. Une jeunesse queer qui n’a souvent que deux issues : l’exil ou l’effacement.

Un pouvoir autoritaire qui se nourrit de haine

La chasse aux personnes LGBT+ ne sert pas seulement à flatter l’électorat conservateur. Elle fait partie intégrante de la stratégie de Kaïs Saïed pour verrouiller le pays de toute opposition. Les associations de défense des droits humains sont harcelées et perquisitionnées ; leurs militantes et militants, surveillés et emprisonnés. Tout comme sous le régime de Ben Ali, toute opposition est étranglée, dans un climat d’intimidation et de peur. Le régime cherche ainsi à étouffer la contestation sociale. À diviser pour mieux régner. Puisque Kaïs Saïed n’arrive pas à nourrir la population, il la gave de haine.

En 2011, la révolution tunisienne avait soulevé des espoirs et des révoltes dans tout le monde arabe ; aujourd’hui encore ce qui se joue en Tunisie dépasse les frontières du pays. C’est un avertissement. Partout où les régimes autoritaires prospèrent, les libertés fondamentales s’effondrent, d’abord en visant les plus fragiles, avant de s’abattre sur l’ensemble de notre classe.

Nora Debs