Près de 23 000 travailleurs de la municipalité d’Izmir (ville portuaire sur la mer Égée, la troisième du pays) se sont mis en grève pour demander de meilleurs salaires et conditions de vie, alors que l’inflation à plus de 90 % continue de dévorer les revenus de la classe ouvrière de Turquie. Le Parti républicain du peuple, le CHP (principal parti d’opposition à Erdoğan), qui dirige la mairie d’Izmir depuis des décennies, s’est attaqué violemment aux travailleurs – avec l’aide de la direction du Disk, la Confédération des syndicats révolutionnaires.
Comme les autres villes du pays, la municipalité d’Izmir a recours en masse à la sous-traitance privée. Les travailleurs employés par ces entreprises sont bien moins payés (44 455 livres soit 991,57 euros) que leurs collègues du « public » (59 270 livres, soit 1322 euros), d’où leur revendication d’une augmentation de salaire de 60 % au lieu des 29 % proposés par la mairie : « À travail égal, salaire égal ». Pendant une semaine, la ville s’est arrêtée sous l’action de la grève, celle-ci étant par exemple majoritaire chez les éboueurs, mais aussi puissante dans l’administration, le secteur du jardinage, conducteurs de bus…
Derrière ses discours démocratiques, le CHP reste un parti d’exploiteurs
Le maire, Cemil Tugay, s’est déchaîné contre la grève. La direction du CHP et ses relais se sont employés à calomnier les grévistes sur les réseaux sociaux et les médias, accusant ceux-ci de faire le jeu d’Erdoğan, qui multiplie les arrestations d’élus du CHP depuis plusieurs mois. Les grévistes ont été dépeints comme des privilégiés au salaire deux fois supérieur au salaire minimum, lui-même en dessous du seuil de pauvreté. À ces discours anti-ouvriers s’est ajouté la démagogie anti kurde appelant à « renvoyer les travailleurs originaires de Dersim ou Mardin [deux villes du Kurdistan turc], garder les vrais habitants d’Izmir », ou sous-entendant que les Kurdes avaient planifié la grève pour saboter le CHP dans le cadre du « processus de paix » avec Erdoğan. Et quand les mots ne suffisaient pas, la mairie a cherché à briser la grève en envoyant des fonctionnaires et des jeunes ramasser les poubelles, armés de bâtons pour menacer les grévistes.
La grève s’est finalement conclue le 4 juin, après la signature d’un accord entre la mairie et le syndicat local Disk, sans réelle avancée pour les travailleurs : à peine 1 % de plus que les 29 % d’augmentation que la mairie avait proposé, soulevant la colère tant c’était en dessous de la perte due à l’inflation, et la promesse de 19 % de plus… mais dans six mois. La direction du syndicat, liée au CHP (le parti du maire) a conclu de nombreux autres accords dans le dos des travailleurs dans d’autres villes, comme à Istanbul et Bursa. Mais ils ont pu recevoir le soutien du syndicat des travailleurs de la mer Égée, tandis que de nombreuses grèves sur les salaires continuent dans différents secteurs (chimie, automobile, raffineries) ou contre des licenciements arbitraires dans les municipalités (qu’elles soient gérées par le pouvoir ou l’opposition).
L’expérience de cette grève rappelle pourquoi les travailleurs ou la population kurde n’ont pas soutenu en masse le CHP face à la répression organisée par Erdoğan : malgré ses discours sur la démocratie, ce parti reste un parti bourgeois incapable d’offrir des perspectives aux exploités ou aux opprimés. Ceux-ci ne peuvent compter que sur leurs propres forces.
Stefan Ino